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Recension de Brian Kateman, The Reducetarian Solution. How the Surprisingly Simple Act of Reducing the Amount of Meat in Your Diet Can Transform Your Health and the Planet, TarcherPerigee, 2017.
De nos jours, beaucoup de carnistes seraient d’accord pour réduire leur consommation de produits d’origine animale. Mais, perturbés par l’idée d’arrêter complètement, ils se braqueraient face aux véganes qui leur disent qu’une réduction n’est pas suffisante et, finalement, par réaction, ne diminueraient même pas leur consommation de ces produits. Dans l’affaire, la radicalité du discours végane s’avérerait inefficace, voire contre-productive, pour véganiser la société. Telle est la thèse de Brian Kateman et de ceux qui se retrouvent dans le mouvement qu’il a lancé et que l’on peut appeler en français les « réductariens » (à distinguer des flexitariens dont l’objectif n’est pas nécessairement de réduire continûment leur consommation de produits d’origine animale jusqu’à devenir véganes). Du coup, plutôt que de demander aux carnistes d’arrêter complètement de consommer des produits d’origine animale, Kateman estime qu’il faut simplement les encourager à réduire leur consommation. Un tel discours, tout en nuance, aurait plus de chance d’être entendu et serait donc plus efficace, au sens où il entraînerait une plus grande diminution du nombre d’animaux exploités et tués. Dans cette approche, c’est uniquement quand la consommation de produits d’origine animale aura beaucoup diminué qu’il pourra être opportun de demander aux carnistes de l’arrêter complètement. Après avoir créé sa fondation (The Reducetarian Foundation), Kateman propose maintenant le livre censé nous convaincre des vertus de cette approche.
Plutôt que d’écrire lui-même un long argumentaire, Kateman propose, après une courte introduction, une succession de 72 petits textes, écrits par divers auteurs. L’objectif est d’accumuler des arguments et des perspectives qui souligneraient la pertinence de sa thèse. Mais, à la lecture, on est rapidement confronté à un problème. La grande majorité des textes ne concerne pas directement la perspective annoncée, à savoir la question de l’efficacité relative des stratégies véganes. Près des deux tiers traitent en effet des avantages qu’il y aurait à simplement réduire la consommation de produits d’origine animale pour la santé des humains et la protection de l’environnement. Pour ces problématiques, demander une simple réduction ne paraît pas absurde. De fait, sur le plan de la santé, il n’est nullement besoin de devenir végétalien. Un morceau de poulet par an, voire par mois ou semaine, n’a jamais fait de mal à personne (si ce n’est, bien sûr, au poulet). De même pour l’environnement. Ce n’est pas le fait d’élever quelques vaches ici ou là qui aggrave le réchauffement climatique ou qui pollue les rivières. C’est le nombre faramineux d’animaux élevés qui pose un problème écologique de nos jours. Si on aborde la question de la consommation de viande à travers ses effets sur la santé ou l’environnement, il ne semble donc pas nécessaire de demander à la population de devenir végane. En même temps, rien ne dit que cette consommation diminuera davantage de cette manière qu’avec des arguments en faveur de son abolition.
Or les textes publiés par Kateman n’offrent aucune donnée empirique ou argumentation détaillée pour soutenir la thèse d’une plus grande efficacité de cette simple demande de réduction par rapport à une demande d’abolition. Il est donc difficile de saisir l’intérêt de les publier ici. Bien sûr, il n’est pas question de contester l’idée qu’une demande de réduction à partir d’arguments de santé ou environnementaux puisse être bénéfique pour les animaux (si elle réussit à entraîner une réduction, elle leur sera utile puisque ces derniers seront moins nombreux à être tués). Mais là n’est pas la thèse de Kateman. Cette dernière consiste en effet à affirmer qu’il est plus efficace d’inciter les gens à réduire leur consommation de viande que de leur demander de l’arrêter. Or se contenter de dire qu’une telle réduction est bonne pour la santé et l’environnement (ce qui est vrai) ne permet en rien d’étayer cette thèse d’ordre stratégique.
Heureusement, Kateman offre aussi des textes plus directement en lien avec sa thèse. Un peu plus d’un tiers des textes présentés dans le livre abordent ainsi le véganisme sous un angle qui se rapporte plus ou moins à l’éthique animale et à des questions de stratégie pour diminuer sa consommation de produits d’origine animale (alors que les précédents textes étaient rangés dans les parties « Body » et « Planet », ceux-ci sont rangés dans la partie « Mind »). Ces textes permettent-ils pour autant de corroborer sa thèse ? Là encore, la réponse est clairement non. Certains textes soulignent bien les problèmes éthiques que pose la consommation de produits d’origine animale. D’autres expliquent pourquoi il faut réduire cette consommation. Quelques-uns proposent des techniques pour réussir à effectuer une telle réduction. D’autres encore racontent comment les alternatives végétales se développent, etc. Mais aucun de ces textes ne montre qu’il vaut mieux se contenter de demander aux carnistes de diminuer leur consommation que de l’arrêter totalement. Or cette comparaison est nécessaire pour que l’on puisse saisir l’intérêt relatif de ces deux stratégies.
Certes, dans le lot, il y a quelques textes qui valorisent cette idée d’une simple demande de réduction. Le problème est qu’ils avancent des arguments très contestables. Par exemple, un auteur écrit qu’il a décidé de continuer à manger certains animaux, notamment les poissons. Mais, tout en critiquant les véganes qui ont une position plus stricte, il reconnaît qu’il « ne sait pas comment justifier logiquement [sa] décision » (p. 16-17). Un autre auteur affirme que, s’il faut en finir avec l’élevage industriel, on peut continuer à consommer les animaux élevés dans de bonnes conditions puisqu’ils « nous donnent [sic] leurs œufs, leur lait, leur fourrure et leur chair en échange de nourriture, d’eau et de protection » (p. 32). Une auteure admet que vous auriez raison d’être chagriné si votre compagnon continuait à manger de la viande puisque vous « savez à quel point c’est mauvais pour sa santé et la planète » (quid des animaux ?). Mais si « vous acceptez avec amour cette consommation de viande de votre partenaire, ce n’est plus un problème » (p. 35) ! Et ainsi de suite…
Cet échec de Kateman à montrer que sa stratégie est la meilleure ne veut pas dire qu’elle ne le soit pas. En dehors de son livre, il existe peut-être de bons arguments. Mais à quoi peuvent-ils ressembler ? Comme on l’a déjà évoqué, ils pourraient reposer sur des données empiriques montrant que les campagnes abolitionnistes marchent moins bien que les campagnes réductionnistes. Malheureusement, il ne semble pas exister, à ce jour, de données fiables sur cette question. En tout cas, si on se place sur le plan de l’éthique, il faudrait comparer une campagne abolitionniste à une campagne se contentant, par exemple, de dire qu’il est préférable de tuer dix animaux par an pour sa consommation que d’en abattre cinquante ou cent. Cette seconde campagne reposerait sur une affirmation qui est bien sûr correcte, mais qui implique aussi qu’en tuer un seul est mieux que d’en tuer dix, puis que s’abstenir complètement d’en tuer est encore mieux. Autrement dit, d’un point de vue éthique, l’argumentation d’une campagne de réduction n’apparaît dans toute sa logique que lorsqu’elle retrouve l’argumentation abolitionniste. Dans ces conditions, comment concevoir qu’une simple incitation à réduire sa consommation soit plus efficace qu’une demande d’arrêt total ? C’est bien sûr possible puisque ce ne sont pas les arguments logiques qui ont toujours le plus d’impact. Mais, dans ce cas, la charge de la preuve incombe aux réductionnistes. Or on la cherche en vain dans ce livre.
Certes, en imaginant qu’une personne soit davantage touchée par un argument abolitionniste que par un argument réductionniste, elle ne va probablement pas arrêter complètement de consommer des produits d’origine animale. Au mieux, elle va simplement réduire sa consommation, du moins dans un premier temps. Mais cela ne veut pas dire qu’il aurait été plus efficace de simplement lui demander de réduire sa consommation. On peut même penser que c’est l’inverse. Une personne s’engage d’autant plus dans un parcours difficile quand elle en comprend l’importance. Si elle avance par étape, c’est juste parce que c’est plus facile. Mais, pour qu’elle avance, il faut au moins qu’elle ait un objectif clair en tête et qu’elle ne confonde pas ce dernier avec la première étape pour y arriver.

Finalement, la thèse de Kateman ne semble reposer que sur le constat que les carnistes n’aiment pas entendre qu’ils devraient arrêter totalement de consommer des produits d’origine animale et, du coup, préfèrent les discours des « réductariens » à ceux des véganes. Mais cette préférence ne prouve pas que les premiers ont plus d’impacts que les seconds. Puis, à un moment donné, il faudra bien bousculer les carnistes si on veut qu’ils changent de façon significative, car on peut difficilement inciter des personnes à abandonner des habitudes auxquelles elles tiennent sans les déranger. Encore une fois, cela ne veut pas dire qu’il faut toujours demander aux carnistes d’arrêter complètement de consommer des produits d’origine animale. Parfois, il peut être préférable d’avancer en douceur et de n’évoquer qu’une réduction de cette consommation. Mais la thèse selon laquelle, pour véganiser la société, les demandes de réduction sont, d’une manière générale, plus efficaces que les demandes d’arrêt total reste problématique. D’ailleurs, l’incapacité de Kateman à l’étayer par des arguments précis signifie probablement qu’elle n’est, au mieux, qu’une distraction dans les combats contre l’exploitation des animaux, au pire, qu’un subterfuge pour pouvoir consommer sans mauvaise conscience un morceau de poulet une fois de temps en temps, comme il le fait lui même (p. xv)…