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Réponse à une tribune de la confédération paysanne, publiée dans <em>Le Monde</em> et qui répliquait à la Déclaration de Montréal sur l’exploitation animale avec des arguments très moyens. (Texte refusé par Le Monde.)
Dans une tribune du Monde (« La végétalisation de l’alimentation n’empêchera pas l’industrialisation du vivant », 19 octobre), trois responsables de la Confédération paysanne réagissent à « L’appel de quatre cent philosophes : nous déclarons l’exploitation animale injuste et moralement indéfendable ». Ayant pris une part active dans l’élaboration de cette Déclaration de Montréal, nous jugeons nécessaire de rectifier quelques points.
Les auteurs commencent par expliquer que l’élevage est indispensable à la subsistance de nombreux paysans et en infèrent que la revendication d’un monde sans élevage est « un anti-humanisme ». À strictement parler, la prémisse de cet argument est fausse car rien n’interdit aux éleveurs de se reconvertir dans un secteur d’activités éthiquement acceptable – certains l’ont d’ailleurs déjà fait. Elle ne saurait de toute manière justifier l’élevage : à supposer que la subsistance des éleveurs repose sur l’existence de leur profession, la même remarque s’applique à la subsistance des tueurs à gage ; personne n’en conclut que l’interdiction du meurtre est un anti-humanisme. La préoccupation légitime pour le sort des paysans devrait en revanche nous conduire à soutenir leurs efforts pour nourrir leur famille et leur communauté sans exploiter d’animaux.
La tribune soutient ensuite comme une évidence que « le fait de se nourrir d’animaux ne peut être régi par la morale ». Ce serait peut-être vrai s’il était impossible de s’alimenter sans animaux. Or, c’est non seulement possible mais avantageux. En évitant l’énorme gaspillage que représente la transformation des calories céréalières en calories animales, l’agriculture végétale offre la possibilité de nourrir bien plus de personnes. Elle présente en outre d’importants bénéfices pour la santé et l’environnement. Le choix d’exploiter et de tuer des animaux relève bel et bien de l’éthique, une discipline dont les experts ne sont ni les agriculteurs ni les consommateurs, mais les philosophes.
Plus loin, on trouve un appel à l’autorité d’un Montaigne : « chacun appelle barbarie ce qui n’est pas de son usage. » Ce relativisme radical n’est pas à mettre au crédit du philosophe, que l’on a du reste connu plus inspiré. Pourquoi les défenseurs de l’exploitation animale ne le citent-ils pas lorsqu’il affirme qu’« il y a plus de différence d’homme à homme que d’homme à bête » ?
En s’opposant au modèle agroalimentaire productiviste, les auteurs présentent un discours aux allures de juste milieu qui a de quoi séduire les amateurs de charcuterie. Leurs arguments ne résistent toutefois pas à un examen minimalement rigoureux. Même à petite échelle, l’agriculture animale n’a pas de nécessité écologique, et le caractère inéluctable de la mort ne saurait justifier qu’on l’inflige prématurément. Tuer des animaux qui veulent vivre n’est jamais « digne ».
Pour finir, la tribune évoque « une convergence d’intérêts entre les humains, les animaux et les territoires ». Si nous doutons qu’un territoire puisse avoir des intérêts, nous comprenons en revanche très bien celui de certains humains à continuer d’exploiter les animaux. Mais nous ne pouvons souscrire à la logique perverse qui voudrait qu’un être sensible ait intérêt à sa propre exploitation.
Martin Gibert, chercheur en éthique à l’Université de Montréal et auteur de Voir son steak comme un animal mort.
Valéry Giroux, directrice adjointe du Centre de recherche en éthique à l’Université de Montréal et autrice du “Que sais-je?” L’antispécisme.
François Jaquet, enseignant-chercheur en philosophie à l’Université de Strasbourg et auteur de Qui peut sauver la morale? Essai de métaéthique.
[Image de couverture générée par un système d’IA à qui on a demandé de « dessiner un saumon nageant dans une rivière».]