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Ânes, chiens, pigeons, chevaux ont péri par millions lors de la Grande Guerre. Amandine Sanvisens, co-fondatrice et présidente de l’association Paris Animaux Zoopolis, souhaite qu’un monument en leur mémoire soit érigé à Paris. L’initiative a reçu le soutien “plein et entier” du Souvenir français, la plus grande association d’anciens combattants de France.
- Axelle Playoust-Braure : Quelles sont les revendications de la campagne « Rendons hommage aux animaux de guerre » ?
Amandine Sanvisens : Il existe une poignée de monuments en mémoire aux animaux de guerre, dans les capitales des pays alliés et dans quelques communes du quart nord-est de la France. Neuville-lès-Vaucouleurs, par exemple, possède un monument en mémoire aux ânes. Il a été installé grâce à la mobilisation de l’association ADADA (Association Nationale des Amis des Ânes). On en trouve également un à Couin, installé à l’initiative du Souvenir français. Il est très simple mais on y trouve une phrase très belle : « Que leur souvenir et leur mort nous amène à savoir apporter plus de gentillesse et de respect aux animaux vivants. » À Lille aussi, on trouve un monument en mémoire des pigeons voyageurs. Le monument de Londres, quant à lui, est exceptionnel à plus d’un titre. Il est très grand et toutes les espèces animales sont représentées. Aucune n’est oubliée. Il y a un même un éléphant ; certains étaient réquisitionnés dans les cirques. D’un côté du monument il y a des animaux en souffrance, sous le poids des munitions qu’ils portent ; de l’autre on trouve des animaux libres, la crinière au vent. Dessus il est écrit : « Ils n’avaient pas le choix. » Pour nous, c’est très important. C’est suite à ça que nous avons décidé de lancer notre campagne, en septembre 2018, à l’occasion du centenaire de l’armistice. Notre revendication principale est l’inauguration d’un monument à Paris, dans la capitale de la France, en mémoire aux animaux de guerre.

- Quelles ont été les réactions à ce projet ?
Certains élus ont été très choqués. Ils ne voulaient surtout pas qu’il y ait des monuments aux animaux, pensant que ça allait blesser ou heurter les anciens combattants et les associations mémorielles ! Pourtant nous avons des témoignages très forts, des lettres de poilus qui qualifient les animaux de « frères d’armes ». La génération actuelle est déconnectée de la Première Guerre mondiale, ne sait pas forcément que c’était la volonté des poilus eux-mêmes que de rendre hommage aux animaux de guerre. Nous avons d’ailleurs reçu un soutien très important du Souvenir français. L’association a adressé un courrier à la mairesse de Paris, Anne Hidalgo, mentionnant qu’elle apportait son soutien « plein et entier » à notre projet mémoriel. Le Souvenir français a aussi participé physiquement et financièrement à notre conférence « Les animaux de la Grande Guerre », donnée par l’historien Éric Baratay au Musée de l’Armée en octobre 2018. Ils nous ont vraiment soutenu de façon très importante. C’est d’ailleurs suite à leur lettre de soutien qu’un projet de stèle mémorielle a été adopté à l’unanimité à la mairie de Paris, et qu’a été mis en place un groupe de travail chargé de décider du lieu de la stèle, de sa forme et de son message.
- Que trouve-t-on dans le livre Bêtes des tranchées, des vécus oubliés d’Éric Baratay ?
C’est un livre très important, qui se place du point de vue des animaux. Par exemple, Éric Baratay nous rappelle qu’un quart des chevaux en France ont été réquisitionnés pendant la guerre. C’est énorme ! Ces individus étaient habitués à l’accent de leur région d’origine, à la voix des humains qu’ils avaient côtoyés. Lorsqu’ils ont été réquisitionnés, il ont été tout d’un coup projetés sur les champs de bataille, confrontés à de nouveaux bruits, perturbés devant d’autres accents, d’autres personnes… Baratay s’est vraiment placé du point de vue de ces animaux, comme il le fait d’ailleurs dans le reste de ses travaux [1]. Cela souligne des choses dont on ne se rend pas forcément compte.
- Qui sont ces animaux enrôlés dans la Grande Guerre ?
Les équidés sont vraiment les plus importants en terme de nombre : 11 millions sont alors mobilisés. Des chevaux évidemment, mais n’oublions pas les ânes et les mulets, qui avaient un rôle fondamental. Un livre a d’ailleurs été écrit sur le sujet, L’Âne de Gloire de Raymond Boissy, fondateur de l’ADADA. Raymond Boissy a récolté un grand nombre de témoignages de poilus sur les ânes, c’est vraiment émouvant. Grâce à leur petite taille, ce sont eux qui allaient dans les tranchées, au plus près des lignes de front. Ils apportaient nourriture et correspondances, cruciales pour le moral des troupes. Il y a également les chiens ambulanciers, dressés à repérer les blessés sur les champs de bataille. Et bien sûr les pigeons voyageurs, chargés de transmettre les messages les plus urgents, les plus secrets. Le plus connu est le pigeon Vaillant, qui a transmis un message du fort de Vaux jusqu’à Verdun. Il est passé à travers les bombardements, la poussière, les fumées toxiques… Son effort a permis de sauver énormément de soldats. Il est mort juste après.
Les équidés sont vraiment les plus importants en terme de nombre : 11 millions sont alors mobilisés. Des chevaux évidemment, mais n’oublions pas les ânes et les mulets, qui avaient un rôle fondamental.
Chiens et pigeons voyageurs se comptent alors en centaines de milliers. Éric Baratay souligne néanmoins que ces chiffres sont largement sous-estimés. Au sortir de la guerre, nombre de registres de réquisition sont détruits : on considère alors que l’histoire concerne la mémoire des humains et non celle des animaux. Paris Animaux Zoopolis a fait un gros travail de recherche, notamment aux archives de la Bibliothèque historique de la Ville de Paris. Nous avons réussi à identifier des photos, à recenser certains lieux parisiens ayant des liens directs avec les animaux de guerre. On a, par exemple, retrouvé des coupures de presse relatant l’histoire d’un chien retrouvé boulevard Raspail, très amaigri. Apparemment, il aurait été capturé par les allemands mais aurait réussi à s’évader. Les articles de presse le présentent comme un véritable héros ! Nous avons l’adresse à laquelle il a été retrouvé, on voudrait donc qu’il y ait une petite statue en sa mémoire.
On a constitué une liste non exhaustive de lieux parisiens ayant accueilli des animaux utilisés pour la Grande Guerre, disponible sur notre site internet [2]. Il y a une école de dressage de chiens ambulanciers près des Champs Élysées, une autre dans le XVe arrondissement. Plusieurs lieux de réquisitions étaient situés dans le XIVe arrondissement. C’est suite à cette recherche approfondie que nous avons demandé aux arrondissements concernés de rendre hommage, sur ces lieux précis. Certains ont adopté des vœux pour installer des plaques mémorielles, mais à ce jour, aucune n’a encore été installée. Il faut encore que la mairie centrale de Paris donne son accord. Or, à ce jour, la mairie centrale bloque tous les projets de plaque, car elle ne veut pas qu’il y ait de plaque avant la stèle… La grande question est de savoir si quelque chose sera inauguré avant les municipales de mars 2020. On fait tout pour que ça aille dans ce sens !
- Paris Animaux Zoopolis se démarque vraiment des autres associations animalistes. Comment décrirais-tu la méthode PAZ ?
Notre approche est résolument politique. On essaye, à chaque campagne, de toucher les élu-e-s et de les faire s’engager publiquement. Notre objectif est que Paris devienne exemplaire en matière de condition animale, que la capitale soit moteur d’évolutions législatives à l’échelle nationale. L’association s’inspire directement de l’approche développée dans Zoopolis, l’ouvrage de Donaldson et Kymlicka. Elle formule des propositions d’alternatives, des pistes de changements vers une société sans exploitation animale. Ce qui me plaît, c’est de formuler des revendications concrètes, au-delà de la seule critique d’un système.
Notre objectif est que Paris devienne exemplaire en matière de condition animale, que la capitale soit moteur d’évolutions législatives à l’échelle nationale.
La notion d’animaux liminaires nous a paru importante, surtout à l’échelle de la ville. Les animaux liminaires sont ces animaux qui vivent à nos côtés, soit parce qu’on a détruit leur habitat, soit parce qu’ils ont tout simplement des intérêts à vivre près de nous, par exemple sont attirés par les sources de nourriture. Ce sont des animaux qui, même s’ils vivent à nos côtés en permanence, sont exclus, méprisés et souvent tués. Ce sont les rats, les pigeons, les lapins, etc.
- Quelles sont les campagnes actuelles de Paris Animaux Zoopolis ?
Nous menons depuis plusieurs années une campagne pour obtenir une loi nationale contre les animaux dans les cirques. La ministre Élisabeth Borne doit rendre des mesures bientôt. On espère que ce sera à la hauteur des enjeux ! Ensuite viendra la campagne sur les municipales à Paris, qui inclura la question de l’interdiction de la pêche à Paris. C’est une question importante ; difficile, mais sur laquelle on pense que ça peut bouger. Nous avons aussi une campagne sur les rats : l’objectif est qu’il n’y ait plus d’empoisonnements financés par la ville de Paris [3].
Celles et ceux qui veulent nous soutenir peuvent le faire de trois façons : en venant à nos nombreuses actions, partout en France (les événements sont disponibles sur notre page Facebook) ; en adhérant à notre association et, bien sûr, en relayant les articles de presse, nos publications… Il faut faire passer le message !

Notes et références
↑1 | Lire à ce sujet l’entretien avec Éric Baratay « La prise en compte du point de vue animal en histoire », publié dans L’Amorce le 7 avril 2019. |
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↑2 | La liste des lieux parisiens ayant accueilli des animaux utilisés pour la Grande Guerre est disponible en suivant ce lien. |
↑3 | Une présentation des campagnes menées par Paris Animaux Zoopolis est disponible sur le site de l’association. |