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Quels liens entre le mouvement punk, l’écologie et la cause animale ? Un essai se penche sur la question.
Le sociologue Fabien Hein et Dom Blake (co-auteur et éditeur chez Le Passager clandestin) nous proposent avec Écopunk un tour d’horizon de l’histoire du mouvement punk de la fin des années 60 jusqu’à aujourd’hui. En prenant bien soin de montrer sa complexité, ses défis, ses contradictions et dissensions internes, les auteurs présentent les éléments unificateurs du mouvement ainsi que sa relation avec la cause animale et autre enjeu politique.

Le titre Écopunk évoque bien la trame de fond : « éco » renvoie à une notion large d’écologie. Au-delà de son association populaire à la question environnementale, l’écologie d’Écopunk en est une qui concerne les relations entre les êtres vivants et leur environnement, leur milieu de vie. Le mouvement punk est présenté comme écosystème, comme possédant un caractère holistique par sa musique, ses revendications politiques, ses pratiques et autres formes d’expression multiple.
Histoire punk: expressions, revendications, pratiques et analyses
L’ouvrage de Hein et Blake brosse un portrait historique des nombreuses expressions punks comme le cyberpunk, le punk d’influence anarcho-primitiviste, post-apocalyptique, le punk sous l’influence de la deep ecology, le punk des hardliners qui comprend la mouvance straight edge et vegan straight edge. Ceci dit, c’est surtout l’influence anarchiste et son corollaire l’anarcho-punk qui dominent l’histoire du mouvement. On peut facilement s’en convaincre en portant attention aux analyses que proposent les auteurs ainsi qu’aux textes des chansons, aux tracts, aux zines et actions politiques militantes punk.
L’influence anarchiste s’exprime dans les discours de nombreux punks qui font état de l’interdépendance des différentes formes d’oppression. Ainsi, Hein et Blake remarquent à propos de la chanson Nailling Descartes to the Wall du groupe anarcho-punk canadien Propagandhi : « La défense de la cause animale est donc une question plus large qu’il paraît, car en “prenant conscience d’une forme d’oppression”, il devient possible de “prendre conscience du reste”, notamment de la “violence institutionnalisée contre les travailleurs et [du] viol des femmes qu’est le sexisme”. » (p. 36) Ce qu’il faut retenir de cet extrait, c’est qu’il y a des liens entre les diverses formes d’oppression et une cohérence au sein d’une lutte qui les viserait toutes. En effet, les différentes oppressions impliquent toutes nécessairement des rapports de pouvoir hiérarchiques. Si c’est la hiérarchie que l’on rejette en s’opposant à une forme particulière d’oppression, il faut alors s’opposer à toutes les autres formes qu’elle peut aussi prendre.
Le livre s’articule autour des thèmes forts (formant un système) qui préoccupent les punks tels que la marchandisation du monde, le néolibéralisme, le capitalisme et ses figures emblématiques des 80’s comme Thatcher et Reagan. Encore une fois, c’est principalement sous l’influence anarcho-punk que s’articule la critique de l’idéologie prônée par ces deux politiciens. L’opposition historique punk est radicale: le système idéologique triomphant est incapable d’assurer la pérennité du monde ainsi que l’épanouissement des êtres vivants qui l’occupent.
Mais au-delà des mots, c’est aussi par la pratique que s’incarne la critique punk. Le DIY (Do it yourself) est une manière de transformer le monde en revendiquant ici et maintenant l’autonomie individuelle et collective. Les punks créent des milieux de vie de manière à fonctionner en dehors du monde marchand/capitaliste et, ce faisant, incarnent le monde qu’ils aimeraient voir advenir: un monde qui favorise l’autogestion, l’autonomie et des pratiques horizontales radicalement démocratiques. Écopunk fait état de communautés punks qui s’approprient des lieux urbains abandonnés ou des espaces ruraux pour y former des écosystèmes aspirant à l’autarcie. La permaculture, l’agriculture végane et la production artisanale de biens peuvent faire partie des activités de ces communautés.
Des analyses originales de pratiques punks à l’intérieur du système font aussi objet de l’œuvre littéraire punk. Le livre évoque notamment le rejet de l’automobile comme symbole de « liberté » moderne pour son caractère aliénant comme l’exprime le groupe punk Crass. Les punks, dans leur recherche d’autonomie (DIY), troquent l’automobile pour « l’énergie métabolique » soit : la marche, le vélo ou le skateboard, des modes de déplacement qui expriment une réappropriation du corps.
Les punks et la cause animale
Bien que les auteurs d’Écopunk précisent que la cause animale ne concerne qu’une minorité au sein du mouvement, celle-ci a toujours fait partie de l’éthos punk depuis ses débuts. Très tôt, des punks ont vu la cohérence entre la cause animale, d’une part, et les luttes d’émancipation humaine et écologique, d’autre part. Certains ont parlé dès les années 70 de libération animale, de la lutte contre l’anthropocentrisme et d’antispécisme. On note aussi les craintes d’une récupération commerciale de la posture animaliste : les punks ne veulent surtout pas réduire un enjeu politique à un simple lifestyle (Crass, Conflict, Propagandhi, Rise Against).
Hein et Blake soulignent l’importance de la composante straight edge du punk en Amérique du Nord, et plus particulièrement du vegan straight edge. C’est la voix la plus forte pour la cause animale, avec des groupes comme Minor Threat, Earth Crisis et Vegan Reich. De même, les rapports étroits entre le mouvement et des organismes radicaux, comme l’Animal Liberation Front (ayant recours à l’action directe illégale), et d’autres plus mainstream, comme PETA, témoignent très certainement de l’engagement punk pour la question animale.
En somme, Écopunk, en faisant de l’écologie sa trame de fond, réussit à maintenir efficacement l’intérêt des lectrices et des lecteurs, et facilite les liens entre les différentes idées des chapitres. Un large lectorat peut s’imprégner de la culture punk autant dans ses généralités que dans ses nuances, voire sa complexité. La lecture accessible permet aisément de comprendre comment la question animale et l’écologie radicale peuvent s’harmoniser par leur caractère subversif avec l’écosystème punk. C’est assurément l’un des mérites principaux du livre de Hein et Blake que de nous faire apprécier la contribution de cet important mouvement de l’histoire récente à l’avancée et à la diffusion de l’antispécisme et du véganisme, mais aussi de nous faire découvrir une pensée politique et des pratiques d’inspiration anarchiste souvent moins bien connues.