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Recension de Virginie Simoneau-Gilbert, Au nom des animaux: L’histoire de la SPCA de Montréal (1869-2019), Somme toute, 2019.
Qui aurait cru que les pères fondateurs de la SPCA de Montréal étaient amateurs de chasse à courre ? Que les prêtres protestants avaient appuyé l’essor de cette société ? Que ce n’est que plus tardivement, et principalement autour du sort des animaux de compagnie, que les femmes ont commencé à s’impliquer activement au sein de l’organisme ? C’est ce qu’on découvre dans l’impressionnant livre Au nom des animaux : L’histoire de la SPCA de Montréal (1869-2019).
Paru en mai dernier aux Éditions Somme toute, l’ouvrage est arrivé à point nommé pour souligner le 150e anniversaire de la Société pour la prévention de la cruauté envers les animaux (SPCA) de Montréal. Il s’agit d’une publication majeure, car avant cette date, personne n’avait encore retracé l’histoire de la SPCA, ni l’évolution des droits des animaux au Canada. Son autrice, Virginie Simoneau-Gilbert, est étudiante à la maîtrise en philosophie à l’Université de Montréal. Ses recherches se situent en éthique animale et en philosophie du droit. Son mémoire porte sur l’extension de la personnalité juridique aux animaux non humains en droit civil. Simoneau-Gilbert a également été impliquée au sein de la communauté philosophique québécoise, notamment en tant que responsable des communications de la Société de philosophie du Québec et assistante à la direction de la revue Philosophiques.
L’une des grandes forces du livre est qu’il dépasse largement ses promesses. En effet, il couvre bien davantage que l’histoire de la SPCA de Montréal. Plutôt, il retrace les histoires interreliées ayant contribué à la naissance de la première organisation vouée au bien-être des animaux au Canada et à son évolution jusqu’à aujourd’hui. Lors d’une table ronde à la librairie Le Port de tête, l’autrice s’expliquait:
« Il s’agit du premier ouvrage en français consacré à l’histoire de la cause animale au Québec. Avant ce livre, aucun article ou ouvrage ne dressait un portrait général de l’évolution de la cause animale au Québec, du 19e siècle à aujourd’hui. »

Mettant à profit sa formation en philosophie, Simoneau-Gilbert brosse d’abord l’historique des courants philosophiques (qu’elle vulgarise et synthétise magnifiquement) sur lesquels ont pris appui les premières sociétés de protection des animaux, d’abord en Angleterre, puis en France et en Amérique du Nord. L’autrice fournit ainsi un portrait riche de l’émergence de ces mouvements de pensée qui ont vu naître les premières sociétés européennes de protection des animaux, qui paveront la voie à la SPCA de Montréal.
Avec finesse et minutie, Simoneau-Gilbert illustre les réalités sociales ayant mené à l’intensification des cohabitations animaux-humains en milieux urbains qui ont conduit les citoyens à vouloir fonder la SPCA (particulièrement la présence des chevaux). À travers cette histoire animalière de la ville de Montréal, l’autrice reconstitue ainsi les réalités socioculturelles, technologiques et économiques qui ont modelé la présence et l’emploi des animaux sur son territoire.
Partant des fondations des premières sociétés pour remonter jusqu’à la SPCA de 2019, l’ouvrage est segmenté en chapitres se succédant de manière chronologique. Ces chapitres sont divisés en volets thématiques suivant les enjeux des différentes époques : les animaux domestiques, la chasse aux phoques, les méthodes d’euthanasie, les animaux de laboratoire, etc. Pour chaque strate temporelle, l’autrice fait un tour d’horizon des mouvements périphériques qui ont influencé la protection des animaux, tels que le féminisme, l’environnementalisme et l’antispécisme; un panorama diversifié qui confère une richesse supplémentaire au récit.
Le tout est richement documenté et exemplifié. En effet, les propos sont appuyés par des extraits textuels (archives de journaux, de rapports et d’ouvrages théoriques) toujours choisis avec le plus grand souci de pertinence, ainsi que par des images (photographies, publicités et illustrations) qui témoignent d’un travail de recherche qu’on ne peut qualifier que de colossal.
Ce qui est remarquable avec ce livre, c’est que les multiples histoires qui y sont consignées sont entrelacées avec agilité et nous sont racontées à travers une langue fluide, claire, accessible et, par-dessus tout, captivante. Un volume de 400 pages qui se lit d’une traite et avec fascination tant son récit est bien structuré.
Simoneau-Gilbert, dont la passion pour ce sujet est contagieuse, a réussi à donner vie à cette histoire – à ces histoires. Chercheuse de formation, l’autrice s’avère aussi conteuse, car sa manière de relater et de structurer l’information nous implique émotionnellement, nous affecte profondément. Au fil des pages et des évènements, des injustices et des victoires, on rit, on essuie une larme, on fronce les sourcils d’indignation, puis on les hausse de surprise, et surtout, on ne peut réprouver une admiration profonde devant l’extrême résilience de la SPCA, qui a su s’adapter aux transformations de l’écosystème montréalais et à ses remous à travers les décennies.
Au nom des animaux est un livre qu’on peut véritablement qualifier de « tout public » en raison de son vocabulaire simple et de ses explications sans raccourcis (même le terme « végane » y est défini). Simoneau-Gilbert s’adresse autant à la personne informée sur l’éthique animale qu’à celle qui en ignore tout. Dans sa double mission didactique et empathique, l’angle éditorial même de l’ouvrage s’inscrit dans la visée de la SPCA, car il rend honneur aux missions d’éducation et de sensibilisation qui ont de tout temps été les piliers de l’organisme :
« Pour moi, les modes d’action de la SPCA de Montréal offrent un modèle intéressant de sensibilisation du public aux enjeux entourant le bien-être animal. Au cours de son histoire, la SPCA a toujours orienté son action autour de deux “pôles” : un pôle “critique” de notre traitement des animaux et un pôle un peu “éducatif”. »
La lectrice, le lecteur, en ressort profondément sensibilisé.e et informé.e non seulement à propos de la SPCA, mais également sur de nombreux sujets et enjeux périphériques, mentionnés ci-haut, et bien d’autres encore que je vous invite à découvrir. Le souhait le plus cher de son autrice ? Que l’immense travail de défrichage qu’elle a effectué dans Au nom des animaux en incite d’autres à se pencher sur la question :
« Maintenant que ce livre existe, j’espère que des chercheurs pourront s’y référer pour leurs propres travaux et qu’ils se sentiront encouragés à approfondir la question. Mon livre est loin d’être exhaustif et j’espère qu’il sera le premier d’une longue série d’ouvrages sur cette histoire. »
On l’aura compris, c’est un livre à adopter sans tarder et qui aura sa place dans toute bibliothèque soucieuse des droits des animaux. Un incontournable qui deviendra, à n’en point douter, un texte fondateur et un point de référence majeur.