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Humour, ironie et darwinisme. Un livre illustré pour mieux comprendre pourquoi les animaux sont traités comme des choses. Lu et apprécié par Florence Burgat.
Comment ne pas mentionner les quelques lignes de l’écrivain naturaliste américain Henry Beston mises en épigraphe du volume ? « [Les animaux] ne sont pas nos frères ; ils ne sont pas non plus nos subordonnés ; ils sont d’autres nations, saisies avec nous dans le filet de la vie et du temps. » Elles indiquent la nature du regard porté par Dominic Hofbauer et par Rosa B. sur les animaux dans un ouvrage qui, au fil de quatre chapitres chaque fois précédés d’un résumé, expose (1) les connaissances scientifiques portant sur les animaux, (2) l’histoire des conceptions des animaux, (3) les droits qui devraient leur être reconnus, (4) évoque la société dans laquelle cette dernière perspective serait réalisée.
Les illustrations de Rosa B., qui mêle finement intelligence, humour (parfois noir) et ironie, servent une présentation de la question des droits des animaux que Dominic Hofbauer aborde par l’histoire des idées et des connaissances, de même que par les principaux concepts philosophiques cruciaux qui la structurent (le darwinisme, l’animal-machine, le spécisme, la subjectivité, l’agent et le patient moraux, le bien-être, la personne…). Concernant le darwinisme, retenons, parmi d’autres et à titre d’exemple, l’exclamation de Lady Worcester, épouse d’un archevêque anglican, lorsqu’elle apprit que, selon L’Origine des espèces de Darwin, nous serions des singes (p. 8-9). Ce fait, à savoir l’appartenance des êtres humains au règne animal, ne serait pas encore admis, si « peu de gens se définissent ou se pensent comme étant des animaux » (p. 9). Peut-être serait-il plus important encore que les gens voient les animaux comme des êtres ayant également une spécificité, un monde propre et une dignité, comme le suggère l’épigraphe. Deux voies se côtoient en effet dans la discussion sur la différence anthropozoologique : celle qui rappelle aux humains, fiers de se distinguer des animaux au point de se penser comme relevant d’un règne séparé, qu’ils sont des animaux ; celle qui cherche à restituer à ces derniers tout ce que l’humanisme métaphysique leur a pris. Cette tâche devrait incomber à l’éthologie, un terme moins connu, à en croire Rosa B., que ceux avec lesquels il consone : l’ethnologie, l’étymologie, l’étiologie, l’écologie (p. 12-13). Tout serait plus aisé à entendre que le nom d’une science décrivant les comportements des animaux.
À travers les concepts évoqués, les principaux points de crispation jalonnent l’exposé, poussant à reconsidérer quelques « certitudes » entées sur une vision privative des animaux qui seraient sans langage (p. 18-20) ou sans conscience (p. 21-23), notamment. Sur le plan historique, deux pages illustrées (p. 28-29) rétablissent que l’élevage confiné intensif, communément appelé « industriel », fait en plus grand ce que l’élevage d’antan faisait avec les moyens du bord. Non, celui-ci ne fut jamais respectueux du bien-être animal, dans ses techniques et en raison de sa finalité même.
Outre ces perspectives historique, scientifique et philosophique, figure celle du droit animalier. Ses grandes étapes, depuis la loi Grammont, sont présentées (p. 60-69) ; mais ce droit est aussi examiné au prisme de la sensibilité (p. 43-45) et du bien-être animal (p. 52-55). L’on apprend, par les images grinçantes de Rosa B. ce qui sépare l’acception de cette dernière notion pour l’humain (le bain à remous, le fauteuil de massage et le yoga) et pour les animaux (un bol d’eau, une petite niche…). Des comparaisons avec les législations d’autres pays ou avec un autre type de droit (la common law) (p. 73-75) montrent que le droit n’est en rien figé par nature ; il a, au contraire, une souplesse — négativement démontrée par la manière dont il s’émancipe de certaines réalités (la sensibilité des animaux, qui devrait engendrer la reconnaissance de droits fondamentaux) — qui lui permet de produire à peu près n’importe quelle norme. Le législateur ne juge, en effet, nullement embarrassant de décréter dans le même texte que les animaux, êtres vivants doués de sensibilité, ne sont pas des choses mais qu’ils seront traités comme s’ils étaient des choses (codes suisse, français, autrichien…). Les normes réclamées par ceux qui défendent la cause des animaux consisteraient à s’accorder avec les impératifs moraux émanant de leur nature sensible, dont la complexité est chaque jour éclairée par l’évolution des connaissances. Ainsi, la Nouvelle-Zélande a banni les expériences invasives sur les grands singes, une commune espagnole a octroyé aux chiens un statut de « résidents non humains » (p. 58), entre autres ; mais c’est le code wallon qui « constitue sans conteste l’un des cadres juridiques les plus avancés au monde en matière de défense des animaux » (p. 82). C’est dans le quatrième et dernier chapitre, « Demain, des animaux citoyens ? », que sont esquissés les contours d’une société où seraient instaurées des relations pacifiées entre les humains et les animaux. Il faudrait pour cela que les lobbies, si pressants envers les enfants, cessassent leur activité dans les écoles, parmi lesquels l’Interprofession bovine (INTERBEV) qui se vante d’être intervenue, en 2016, dans 1500 écoles primaires auprès de quelque 225 000 enfants… (p. 80).
Le tour de force réalisé dans cet ouvrage consiste à dire tant à partir de l’analyse, d’une très grande clarté, de quelques notions et faits particulièrement éloquents. Qui ne sait rien de ce qu’il est habituel de nommer aujourd’hui la « question animale » sortira de cette lecture riche d’une histoire à la fois brève et frappante, qui nous met au pied du mur de nos contradictions et éprouve nos certitudes.
Florence Burgat