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Un ouvrage qui ne tient pas tout à fait sa promesse révolutionnaire mais s’avère être un utile pamphlet politique.
La révolution antispéciste, publié récemment aux Presses universitaires de France, est une véritable preuve de la révolution intellectuelle que constitue l’antispécisme. En ce sens, Révolution végane, d’Élodie Vieille Blanchard, paru en 2018 aux éditions Dunod, semble annoncer une analyse davantage sociologique du mouvement social et politique qu’est le véganisme – le fait que l’autrice soit présidente de l’Association Végétarienne de France, mais surtout docteure en sciences sociales, y est pour beaucoup dans cette appréhension. Qu’en est-il vraiment ?
L’ouvrage s’ouvre sur un ton personnel. Élodie Vieille Blanchard revient d’abord sur son parcours vers le véganisme. Au « je » s’ajoute rapidement le « nous », imbriquant ainsi l’individuel dans le collectif et donnant tout son poids aux propos : la transition vers le véganisme de l’autrice s’inscrit indéniablement dans un mouvement social plus large. Mais la thèse du livre ne réside pas dans l’étude de ce mouvement. Révolution végane expose plutôt les raisons d’une transition végane, en répondant aux objections – politiques et économiques – et démontrant les bénéfices – économiques et environnementaux.
Élodie Vieille Blanchard nous prévient d’emblée : faute d’espace, elle fera l’économie de certaines formes d’exploitation animale pour se consacrer à l’élevage des animaux à des fins alimentaires (en excluant toutefois les animaux marins). Bien sûr, un livre ne peut pas tout contenir ; écrire c’est choisir et donc forcément exclure. Il n’empêche qu’on se demande sur quelle révolution spécule-t-on, si en est exclue la majorité des êtres qu’elle vise.
Quelques digressions ici et là rendent moins clair encore le fil conducteur de l’ouvrage. Lorsque l’autrice se penche sur des sujets épineux – bien que pertinents dans une perspective révolutionnaire –, comme la nourriture des animaux de compagnie ou une éventuelle intervention humaine dans la prédation, on comprend mal leur pertinence dans le cadre du court essai argumentatif que constitue Révolution végane.
On ne peut, dès lors, que s’interroger : à qui s’adresse le livre ? Si ces digressions font croire qu’il vise les convaincues, sa prémisse et sa structure globale disent le contraire. Élodie Vieille Blanchard, en se limitant à l’élevage et au bien-fondé de son terme, en se consacrant davantage au pourquoi, s’adresse de toute évidence aux profanes. Cela étant dit, son ouvrage, pragmatique, s’avère être un utile pamphlet politique.
Ainsi sont exposés aussi bien les consensus politiques et économiques que les controverses, de même que les questions sans réponses. Il s’agit de susciter la réflexion et des discussions. C’est dialectique : à la voix des « avocat[.e.]s des animaux » est opposée celle des « avocat[.e.]s de l’élevage ». On peut saluer une telle démarche : personne ne pourra dire que les véganes ignorent les contre-arguments.
Les questions environnementales liées à l’élevage font l’objet d’une étude approfondie. On s’inscrit dans cette même démarche d’objectivité que l’autrice appelle de ses vœux. C’est le cœur de l’ouvrage. L’effondrement de nos sociétés est de moins en moins une chose abstraite, nous rappelle Élodie Vieille Blanchard, et, bien que la fin de l’élevage n’ait pas la prétention de désamorcer la crise, il s’agit néanmoins « d’un levier efficace pour construire un monde moins violent et plus durable » (p. 173).
En présentant les dernières données sur le sujet, l’autrice nous donne des armes pour « inventer un autre monde ». Car si les chiffres sont indispensables dans la bataille politique qu’annonce la sortie de l’élevage, cela vaut aussi pour l’imagination. La fin du statu quo requiert surtout de notre part un effort d’imagination ; au-delà des chiffres, des données et des statistiques, au-delà des arguments partisans, c’est ce à quoi nous invite l’ouvrage. Un plaidoyer qui demeure intact malgré les détours.
On aurait aimé qu’Élodie Vieille Blanchard s’étende un peu plus sur les considérations sociales et culturelles, celles auxquelles est consacré le dernier chapitre. C’est qu’il y a là des réflexions intéressantes, le rôle de l’art dans l’imaginaire collectif notamment. Le livre évoque ainsi le long-métrage Okja (Netflix) ou encore la littérature de Martin Page – dont les protagonistes véganes tendent à normaliser le mouvement dans la société. Mais c’est trop peu ; on reste sur notre faim. D’autant plus qu’on nous a convaincu de l’importance de l’imaginaire dans la révolution.
Au final, si on est loin d’un essai complet sur les transformations sociales et politiques qu’impliquerait un monde végane, Révolution végane d’Élodie Vieille Blanchard rend plus facile à imaginer la fin de l’élevage et alimente la réflexion sur plusieurs sujets. On en ressort aussi avec la certitude que pour éviter l’effondrement, il faudra tôt ou tard, après l’avoir imaginée, entamer cette révolution végane – et, pourquoi pas, y inclure toutes les formes d’exploitation des animaux.