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La chasse et la pêche ont généralement bonne réputation chez les écologistes. Mais ces activités sont-elles réellement bénéfiques à l’environnement ? A-t-on raison de considérer ceux qui les pratiquent comme des amoureux de la nature ? Véronique Armstrong en doute.
Plutôt impopulaires auprès des défenseurs des animaux, la chasse et la pêche[1] ont généralement meilleure réputation chez les environnementalistes. Pour autant, ces activités sont-elles réellement bénéfiques pour l’environnement, voire parfois nécessaires pour la régulation des populations animales ? Ceux qui les pratiquent peuvent-ils à juste titre être considérés comme des amoureux de la nature ?
La législation québécoise et ses différentes conceptualisations de l’animal
Selon le contexte dans lequel ils se trouvent et le régime juridique qui s’y rattache, les animaux font face à des conceptualisations et à des droits qui varient grandement. Ces variations méritent qu’on s’y attarde, car elles articulent les rouages de la mécanique récréotouristique de la chasse et de la pêche.
Après les Français, les Québécois ont vu changer le statut juridique des animaux en droit civil. En effet, la Loi sur le bien-être et la sécurité de l’animal (LBÊSA) a été adoptée en 2015, mettant fin à quatre siècles qu’ont vus défiler les animaux depuis leur catégorie juridique de biens. De fait, pendant tout ce temps, les animaux ont été réputés être des « biens meubles » et leurs « propriétaires » avaient sur eux une discrétion presque totale, comme ils en ont sur leurs autres propriétés telles que leurs chaises ou leur bicyclette. Avec l’entrée en vigueur de la LBÊSA et la création d’une nouvelle catégorie juridique, les animaux de compagnie ont enfin pu accéder au statut d’êtres doués de sensibilité ayant des impératifs biologiques. Les chiens, chats, hamsters et lapins partageant notre quotidien sont une source de préoccupation au sein de notre société et les humains reconnaissent avoir la responsabilité de veiller à leur bien-être et à leur sécurité. Désormais, un animal doit recevoir les soins propres à ses impératifs biologiques (art. 5) et nul ne peut faire en sorte qu’il soit en détresse, c’est-à-dire qu’il soit exposé à des traitements causant sa mort, des lésions graves, des douleurs aiguës, de l’anxiété ou une souffrance excessive (art. 6). À ce titre, la LBÊSA prévoit des dispositions sur le signalement d’un animal subissant des abus ou de mauvais traitements ou se trouvant en situation, passée ou présente, de détresse. Ainsi, les professionnels tels que les médecins vétérinaires sont tenus de communiquer les informations dont ils disposent à cet égard au ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec (MAPAQ) et sont protégés de toute poursuite en justice lorsqu’ils font un tel signalement (art. 14). Pour leur part, les citoyens ordinaires n’ont pas l’obligation de faire des signalements lorsqu’ils détiennent des informations à propos de négligence ou d’abus d’animaux, mais la loi protège également de poursuites judiciaires les personnes qui décideraient de le faire (art. 15). Quelques précisions s’imposent toutefois : les animaux utilisés dans les domaines de l’agriculture, de la recherche scientifique, de l’enseignement et de la médecine vétérinaire sont exclus de la protection offerte par la LBÊSA, tout comme les animaux de la faune, qui relèvent quant à eux de la Loi sur la conservation et la mise en valeur de la faune (LCMVF).
Comme son nom l’indique, la LCMVF a pour objet la mise en valeur de la faune et de son habitat au bénéfice de la chasse, de la pêche et du piégeage. Elle reconnaît certes des droits, mais il s’agit de ceux des chasseurs, des pêcheurs et des piégeurs, et non pas ceux des animaux de la faune. Alors que la LBÊSA interdit de causer de la détresse à un animal de compagnie, la reconnaissance des droits des chasseurs par la LCMVF permet à ces derniers de pourchasser, poursuivre, harceler, traquer et mutiler les animaux sauvages (art. 1). Loin d’avoir le statut d’êtres sensibles prévu par la LBÊSA, ces derniers sont plutôt relégués au rang de « ressources fauniques ». Leur valeur n’est pas intrinsèque, mais instrumentale : elle sert des visées d’exploitation. Conséquemment, la LCMVF ne comporte pas de dispositions portant sur le signalement de mauvais traitements, d’abus ou de détresse. Au contraire, une personne qui chercherait à empêcher de telles souffrances, que ce soit en effarouchant un animal afin de l’éloigner d’un chasseur ou d’un pêcheur ou en le libérant d’un piège, serait en situation d’infraction puisqu’elle ferait obstacle au droit des chasseurs, des pêcheurs et des piégeurs de pratiquer une activité protégée (art. 1.4).
En fait de conceptualisation de l’animal, la Loi sur la qualité de l’environnement (LQE), quant à elle, se rapproche davantage de la LCMVF que de la LBÊSA. À l’instar de la LCMVF, elle ne fait pas mention de la sensibilité animale et se contente d’offrir une définition de l’environnement qui les inclut parce qu’ils entretiennent des relations dynamiques avec les éléments de l’environnement tels que l’eau, l’atmosphère ou le sol (art. 1). Cette loi place ainsi sur un pied d’égalité la protection de la qualité de l’environnement et la sauvegarde des espèces vivantes et n’indique pas que l’un devrait avoir préséance sur l’autre (art. 19.1). Un animal peut même revêtir un statut comparable à celui de « contaminant » au sens de l’article 1 lorsqu’il est « susceptible d’altérer de quelque manière la qualité de l’environnement ». L’exemple du chat domestique permet d’illustrer un tel cas de figure. Originaire d’Égypte, cette espèce invasive se retrouve maintenant un peu partout sur la planète. En 500 ans, le chat domestique a causé l’extinction de 63 espèces de mammifères, oiseaux et reptiles[2]. Ses impacts dévastateurs sur la qualité de l’environnement sont indéniables, puisqu’il tue entre 4 et 10 fois plus d’animaux sauvages par hectare que les espèces prédatrices indigènes comparables[3]. Ce genre de considération semble motiver les dispositions en question.
Or, ces différentes préoccupations ont peu de liens avec un souci pour le bien-être des animaux pris individuellement et tout à voir avec ce qu’ils représentent pour les êtres humains. C’est un constat qu’illustre bien l’exemple du lapin, lequel est susceptible de se retrouver dans diverses catégories. Ainsi, s’il est l’animal de compagnie d’une famille, il bénéficie d’un régime juridique robuste en vertu de la LBÊSA : ses besoins et impératifs biologiques doivent être respectés. Si, explorateur dans l’âme, il lui prenait l’envie de quitter sa maison et de s’aventurer en forêt, ce lapin passerait du statut d’être sensible à celui de ressource faunique. Il serait alors parfaitement possible de le tuer en toute conformité avec la LCMVF. Finalement, lorsque sa présence dans l’environnement se traduit par l’introduction de maladies et par une compétition avec les lapins et les lièvres sauvages, on craindrait qu’il altère la qualité de l’environnement et il serait alors considéré comme un contaminant au sens de la LQE.
Histoires de pêche
Généralement auréolée de descriptifs positifs, la pêche récréative est perçue comme émanant d’un profond amour de la nature ; elle s’accompagnerait d’une reconnaissance de la valeur de celle-ci de même que d’une disposition à la protéger[4]. « Pêcher, c’est bien plus que de taquiner le poisson, c’est prendre contact avec la nature exceptionnelle dont bénéficie le Québec[5]. » Si, pour leur part, les poissons trouveraient certainement à redire sur de telles taquineries, peu de personnes semblent remettre en question une association aussi forte entre pêche récréative et amour de la nature.
Très populaires autour du feu, les histoires de pêche ne racontent pas tout. Absents de ces narrations sont les déploiements industriels requis pour rendre possible la pêche récréative de même que leurs impacts environnementaux.
Quand vider nos lacs vide aussi les océans
Entrée en vigueur en 2006, la Loi sur le développement durable (LDD) a créé un nouveau cadre de responsabilité pour les ministères et certains organismes gouvernementaux dans leurs sphères d’intervention. Ainsi, elle vise justement un ministère tel que celui des Forêts, de la Faune et des Parcs (MFFP), qui est l’autorité responsable des activités de chasse, de pêche et de piégeage. Parmi les principes édictés par la LDD, mentionnons le « respect de la capacité de support des écosystèmes » qui est mis de l’avant pour en assurer la pérennité (art. 6 [m]). Appliqué à un contexte de pêche récréative, ce principe impliquerait que l’on ne retire pas les poissons des lacs et cours d’eau à un rythme qui excède leur capacité de reproduction. Sachant cela, il est légitime de se demander si tel est bien le cas.
Déjà au 19e siècle, les rivières et cours d’eau du Québec étaient surexploités par la pêche sportive. L’apparition des premières activités de pisciculture, en 1857, avait justement pour but de repeupler ces eaux surexploitées[6]. De nos jours, la pratique de la pêche sportive et récréative dépend toujours des productions piscicoles. En effet, la majeure partie de ces productions est dédiée au marché de l’ensemencement : celui-ci produit 58 % du volume dulcicole total et représente 71 % de sa valeur[7]. Loin de respecter la capacité de support des écosystèmes, la pêche sportive telle qu’elle existe en ce moment ne serait tout simplement pas possible sans l’apport de cette industrie de production piscicole.
Malheureusement, là ne s’arrête pas la surexploitation. La nourriture des poissons d’élevage est composée d’ingrédients issus de poissons sauvages et provient donc en grande partie de la surpêche dans les milieux marins. À l’heure actuelle, 40 % des poissons pêchés en mer ne servent pas à nourrir les humains directement ; ils sont plutôt transformés en farine et en huile pour nourrir les animaux d’élevage[8]. Les poissons de pisciculture comptent pour la majorité de ces derniers[9], et les salmonidés d’élevage du Canada ne font pas exception[10].
Sommes-nous en mesure de bien évaluer ce second niveau de surexploitation ? Paul Watson, fondateur de la Sea Shepherd Conservation Society, soutient que 70 poissons sauvages sont nécessaires à l’alimentation d’un seul saumon d’élevage[11]. De son côté, le John Hopkins Center for a Livable Future a mis au point un indice de calcul qui tient compte des protéines et calories contenues dans les intrants (les aliments composant la moulée) et dans les extrants (les parties comestibles du poisson produit). Leur calcul a révélé qu’en moyenne 19 % des protéines et 10 % des calories contenues dans l’alimentation des espèces aquatiques de pisciculture sont, ultimement, disponibles dans l’alimentation humaine[12]. Ces importantes pertes en protéines et en calories soulèvent donc une réflexion supplémentaire, qui s’ajoute ainsi à celles que suscite déjà l’élevage d’animaux terrestres à des fins alimentaires. Dans un contexte de ressources limitées[13] et de faim dans le monde[14], est-il justifié de permettre la production de nourriture pour les poissons d’élevage, qu’elle soit faite à partir de poissons sauvages ou d’ingrédients végétaux, plutôt que de n’autoriser que les productions directement comestibles par l’humain ?
Passons outre la contribution de la pêche récréative aux différents désastres environnementaux associés à la surpêche en océan (captures accidentelles, disparition d’espèces clés, destruction des fonds marins, pollution par le plastique, etc.). Contentons-nous de revenir au principe de respect de la capacité de support des écosystèmes mis de l’avant par la LDD : non seulement la pêche récréative dépasse-t-elle cette capacité en eaux douces, elle la dépasse aussi en eaux salées.
Derrière la pêche récréative, une industrie
Les piscicultures, tout comme les autres élevages d’animaux, ont des impacts négatifs sur l’environnement. Une grande partie de ces impacts sont dus à ses effluents très chargés en nutriments, comme le phosphore, présents dans la nourriture des poissons d’élevage[15]. Une fois rejetés dans le milieu aquatique, ces nutriments causent la croissance excessive des plantes, algues et bactéries, dont les algues bleu-vert (ou cyanobactéries), étouffent les écosystèmes aquatiques et provoquent le vieillissement prématuré des lacs et cours d’eau. Ce phénomène d’eutrophisation accélérée est un problème environnemental majeur et même hors de contrôle au Québec[16].
Comme toute production industrielle, celle-ci s’accompagne également d’un volet « transport ». En effet, les poissons d’élevage prêts pour l’ensemencement doivent être acheminés aux pourvoiries, zones d’exploitation contrôlées, clubs, associations et autres plans d’eau utilisés par la pêche récréative. Selon l’accessibilité du lieu de destination, ce déplacement des animaux peut s’effectuer par voie terrestre ou aérienne.
Ainsi, derrière ce qui est décrit comme un sport de contact avec la nature se cache une logistique d’approvisionnement, de production et de transport dont la portée et les impacts ne devraient pas être passés sous silence.
Truites, lombrics et autres contaminants
Cette histoire de pêche comporte encore au moins un autre chapitre, lequel met en vedette des personnages pour le moins inusités pouvant être considérés comme des contaminants au sens où l’entend la Loi sur la qualité de l’environnement. Rappelons que cette loi considère comme un contaminant ce qui est susceptible d’altérer la qualité de l’environnement, une triste capacité que possèdent certaines espèces jugées envahissantes.
Prenons l’exemple de la truite arc-en-ciel. Totalement absente des cours d’eau jusqu’en 1893, cette espèce est très populaire auprès des pêcheurs et des pisciculteurs en raison de son taux de croissance élevé[17]. En dépit d’un zonage piscicole limitant son ensemencement à la portion amont du fleuve Saint-Laurent, cette espèce migratrice est maintenant présente dans les rivières de l’Est-du-Québec et se reproduit naturellement à plusieurs endroits[18]. La truite arc-en-ciel occupe les mêmes niches d’habitat et d’alimentation que le saumon atlantique et l’omble de fontaine[19] et entre en compétition avec ces deux espèces indigènes qui traînent déjà de la nageoire.
Un autre exemple notable est celui du ver de terre, qui provient surtout d’Europe et envahit maintenant de nombreux boisés d’Amérique du Nord[20]. Cette espèce exotique est très prisée des pêcheurs en tant qu’appât et la nuisance qu’elle représente dans son milieu d’accueil n’est pas à sous-estimer. Le ver de terre modifie en effet la composition chimique des sols, ce qui a des effets sur la faune et la flore, incluant une diminution des graines viables d’arbres matures, des populations d’oiseaux nichant au sol et des mammifères et insectes qui vivent dans le sous-bois[21].
La chasse et le piégeage : les ramifications d’un modèle alimentaire basé sur la viande
Tout comme la pêche, la chasse est présentée comme « une activité de plein air qui permet un contact avec la nature[22] ». Elle bénéficie en outre d’un statut positif supplémentaire, puisqu’on la décrit souvent comme une « activité respectueuse de l’environnement qui permet aux populations de gibiers de rester stables[23] ».
Les sous-sections suivantes offrent un examen plus critique de cette affirmation répandue et généralement acceptée. À y regarder de plus près, en effet, on se rend compte qu’elle laisse dans l’ombre certaines dynamiques moins connues de ces activités. De nature conflictuelle, ces dynamiques découlent de la place centrale qu’occupe la viande dans nos assiettes.
Des conflits par déprédation
La première dynamique conflictuelle à relever survient en cas de déprédation[24], soit lorsque les animaux sauvages s’alimentent à partir de cultures végétales. L’idée est que le paysage agricole québécois est largement façonné par la consommation de viande. De fait, presque tous les meilleurs sols sont des monocultures de soja, de maïs ou de blé[25] et plus de 80 % des grains produits sont destinés aux animaux d’élevage[26]. Or, cette prépondérance affecte les animaux sauvages de deux façons. En premier lieu, elle est la principale raison pour laquelle ils n’ont presque plus d’espace naturel et se retrouvent sur des terres agricoles. En effet, la conversion de superficies naturelles en pâturages pour les animaux d’élevage et en cultures pour nourrir ces derniers représente la principale cause de destruction et de fragmentation d’habitats naturels à travers le monde[27]. En second lieu, cette perte de milieu naturel s’accompagne d’une plus grande rivalité pour la nourriture disponible. Dans cette situation de rareté, il peut être difficile pour un animal sauvage de résister devant des champs d’appétissantes céréales s’étendant à perte de vue… Et, incidemment, cela peut nuire considérablement aux agriculteurs.
Ce sont de tels conflits qui sont à l’origine de partenariats entre l’Union des producteurs agricoles et la Fédération québécoise des chasseurs et pêcheurs. Ces alliances entre producteurs et chasseurs font de la chasse l’outil de gestion privilégié des populations des animaux sauvages qui évoluent en milieu agricole. Les agriculteurs donnent accès à leur terre aux chasseurs, joignant ainsi « l’utile à l’agréable pour les deux parties[28] ».
C’est notamment le cas pour les dindons sauvages. Espèce non indigène au Québec, elle est maintenant présente dans tout le sud et l’ouest de la province grâce à une vaste entreprise de mise en valeur de la part de la Fédération québécoise des chasseurs et pêcheurs. Les difficultés d’accès à la nourriture auxquelles font face les dindons, conjuguées à tous les moyens (guides d’aménagement, aide financière) dont disposent les chasseurs pour les attirer, les placent dans une situation sans issue. Ils sont tour à tour « contaminants », puis « ressources fauniques », ce qui assure la pérennité de leur chasse pour le plus grand bonheur des chasseurs.
Des conflits par prédation
Certains animaux sauvages sont pour leur part indifférents aux monocultures de soja, de maïs et de blé. Ils jettent plutôt leur dévolu sur les proies que pourraient constituer les animaux d’élevage au pâturage. Malheureusement pour eux, ce sont là des animaux que l’humain a déjà lui aussi l’intention de manger.
Les problèmes environnementaux qui exacerbent les conflits par déprédation entrent aussi en jeu lors des conflits par prédation. Les prédateurs de la faune, tout comme les herbivores, manquent de nourriture et de territoires. Les animaux au pâturage, présents en grand nombre et au même endroit, ont des airs de festin pour les carnivores sauvages. En outre, ils entrent en compétition directe avec les herbivores sauvages pour le pâturage et peuvent ainsi réduire l’abondance ou la distribution de proies sauvages[29]. Et lorsque les animaux d’élevage tombent sous les crocs des prédateurs, les profits des éleveurs tombent avec eux.
Tout comme les agriculteurs, les éleveurs jouent un rôle prépondérant dans les dynamiques de chasse et de piégeage. Que ce soit par des interventions directes ou par pression auprès du gouvernement, ils ne sont jamais inactifs devant les dommages causés par les animaux sauvages. Le contrôle létal de la faune a longtemps été la technique la plus utilisée pour gérer de tels conflits[30]. Il s’agit encore souvent de la première option vers laquelle se tournent les éleveurs, et ce, malgré un succès souvent mitigé, tel que l’illustre un cas ayant récemment retenu l’attention du milieu agricole. Après avoir perdu des centaines de veaux sous des attaques de loups, un éleveur de Rouyn-Noranda, au Québec, se serait en effet lancé dans le piégeage intensif de ces derniers[31]. Il aurait dit-on éliminé une meute entière, puis une autre, et une autre, sans jamais parvenir à régler son problème. Mentionnons que son élevage est limitrophe du parc national d’Aiguebelle, et que cette combinaison d’espace et d’accès à la nourriture implique que l’élimination d’une meute de loups ne faisait que libérer un espace propice à la venue d’une autre. Au fil du temps, l’éleveur aurait tué 68 loups avant de constater l’inefficacité de sa méthode et de se tourner vers d’autres avenues. Compte tenu de l’absence de limite réglementaire quant au nombre de loups piégés ou chassés, il aurait pu continuer ainsi bien plus longtemps encore, et ce, en toute légalité.
Des conflits par compétition
Bien sûr, un survol aussi complet que possible de la chasse ne peut qu’inclure la grande valorisation du gibier en tant que viande dont la qualité surpasserait la viande d’élevage industriel. Ce mode d’approvisionnement à même les forêts serait en outre plus noble, en grande partie parce que l’on ne confierait pas à d’autres la tâche de tuer l’animal dont on souhaite se nourrir.
Avant d’aller plus loin dans notre analyse, permettons-nous d’imaginer un monde où l’humain obtiendrait sa viande de la chasse plutôt que de l’élevage. Nous découvririons alors que, si les Québécois décidaient de remplacer la viande de bœuf (et uniquement la viande de bœuf) par de la viande d’orignaux chassés, moins de 40 jours s’écouleraient avant la disparition complète de l’espèce[32]. Ainsi, s’il s’avérait fondé que la chasse soit plus noble, cette noblesse serait de très courte durée.
Il n’en demeure pas moins que cet attrait pour la viande de gibier amène certains chasseurs à percevoir les prédateurs de la faune, tels que les loups, comme des compétiteurs qui accaparent « leurs » ressources fauniques. Il s’agit pourtant là d’une fausse menace, puisqu’elle ignore le fait que tous deux ne s’en prennent pas aux mêmes chevreuils et orignaux. C’est que les loups préfèrent les individus affaiblis, vieux ou malades et contribuent ainsi à la santé globale de ces populations animales[33]. De leur côté, l’inclination des chasseurs pour les grands panaches les conduit à cibler les grands mâles en âge de procréer, comme en témoigne la diminution de la taille moyenne des panaches et des bois dans les populations animales chassées[34].
Notons que les préoccupations que suscite cette prétendue compétition revêtent parfois des apparences de souci du bien-être animal de la part des chasseurs. La mort d’un animal sauvage, avancent-ils, serait bien plus douce lorsqu’elle est le fait d’un chasseur plutôt que d’un prédateur. En de telles occasions, les chasseurs semblent subitement – et brièvement – délaisser une conceptualisation de l’animal en tant que ressource faunique au profit d’une conceptualisation en tant qu’être sensible au sens de la LBÊSA. Pourtant, il faut souligner que le chasseur ne fait de faveur à personne, puisque l’animal qui mourra de sa main ne se serait vraisemblablement jamais trouvé dans la mire d’un autre prédateur.
Des conflits pour la régulation
Le principal motif invoqué pour la chasse demeure certainement la régulation des populations. Par exemple, les cerfs de Virginie et les orignaux sont présents en grand nombre dans plusieurs régions du Québec, au point, parfois, de surpasser la capacité du support du milieu. Leur surnombre se caractérise par des individus de plus petite taille, un taux de mortalité hivernale plus élevé, une dégradation des habitats forestiers, une hausse des risques de collisions routières, des dommages aux cultures et un ralentissement de la régénération forestière[35]. Dans de tels cas, ils présentent des caractéristiques qui ne sont pas sans rappeler la définition de contaminant environnemental au sens de la LQE.
Outre la fragmentation et la diminution du territoire, l’une des raisons derrière de telles surpopulations est l’insuffisance de prédateurs naturels, notamment du loup. Ainsi, en l’absence de loups, on note un nombre anormalement élevé de cerfs et d’orignaux, ainsi que des individus de plus petite taille et un plus grand taux de mortalité hivernale[36]. À l’inverse, sa présence s’accompagne de cerfs et d’orignaux plus grands et plus forts. Le loup est synonyme de richesse écologique, et les risques qu’il prolifère et se transforme lui-même en contaminant ne sont qu’une autre fausse menace, puisque c’est le nombre de proies disponibles qui détermine le nombre de loups, et non l’inverse[37].
Ses impressionnantes prouesses ne suffisent apparemment pas à redorer le blason du loup auprès des chasseurs et des fonctionnaires. Certes, il chasse sans permis et ne contribue donc pas aux retombées économiques de cette activité. Peut-être a-t-il aussi du mal à se débarrasser de son étiquette de compétiteur, en dépit des preuves du contraire. De plus, si on lui laissait le champ libre, sa contribution à la santé des écosystèmes pourrait fort bien délégitimiser la chasse comme outil de gestion des populations animales. Finalement, il semble oublier qu’il revêt lui-même le statut légal d’animal à fourrure, qu’il est désigné comme « petit gibier » dans le règlement sur les activités de chasse, et qu’il peut donc très bien être lui-même mis en valeur. Non seulement est-il un redoutable compétiteur, il est en outre un compétiteur qu’il est payant d’éliminer.
Ainsi, alors que le MFFP effectue un suivi rapproché des espèces animales dont il désire assurer la pérennité de l’exploitation, il ne tient aucun inventaire des populations de loups à travers la province[38]. En dépit du fait que les récentes tendances de ces populations au Québec ne sont pas connues et qu’il règne donc un flou quant aux réels besoins en matière de protection légale, il n’y a pas de limites de mises à mort pour les loups, et ce, autant pour le piégeage que pour la chasse. En 2015, le Comité sur la situation des espèces en péril au Canada (COSEPAC) a réévalué le statut du loup de l’Est et l’a déclaré espèce menacée[39]. Le Canada, avec sa Loi sur les espèces en péril, lui a accordé le statut, moins contraignant, d’espèce préoccupante. L’Ontario, par sa Loi sur les espèces en voie de disparition, l’a désigné espèce menacée sans pour autant le protéger de la chasse et du piégeage, protection qu’aurait dû lui assurer son statut. Pour ce qui est du Québec, le gouvernement refuse de reconnaître cette espèce de loup (il ne reconnaît que le loup gris) et ne lui accorde donc aucune protection en vertu de sa Loi sur les espèces menacées ou vulnérables.
Pour les proies sauvages potentielles, qui préféreraient sans doute ne croiser ni chasseur humain ni loup, ces considérations sont peut-être futiles. Mais quand vient le temps d’évaluer la bonne foi des partisans du piégeage et de la chasse, elles révèlent des choses intéressantes. En insistant sur le rôle de la chasse comme outil de contrôle des populations animales, les autorités gouvernementales donnent l’impression qu’elles accordent une grande importance à leur régulation. Cependant, beaucoup de mesures sont en place afin que cette régulation soit synonyme de chasse et de piégeage, et qu’elle ne provienne pas d’ailleurs. Surtout pas du loup.
Conclusion
Les constats qui précèdent laissent entrevoir que le rapport des humains aux autres animaux et à la nature prend une forme singulière dans un contexte de chasse et de pêche. Certains préceptes robustes, notamment en matière de bien-être animal et de conservation du milieu, sont revisités avec une certaine latitude.
Ainsi, des animaux que les humains considéraient comme des êtres sensibles dignes de leur affection dans un contexte donné deviennent des ressources fauniques qu’ils peuvent pourchasser, traquer et mutiler en toute légalité lorsque tel est leur bon vouloir. De fait, dans cette lucrative entreprise de loisirs et de divertissements, les animaux ne sont ni plus ni moins que des intrants, une fonction qui les rapproche dangereusement de leur ancien statut légal de biens meubles. Cette étiquette, déjà fort peu enviable, de ressources fauniques peut devenir encore plus affligeante lorsque, selon la situation, les animaux se voient affublés de l’étiquette de contaminants. Une telle étiquette est d’autant plus injuste que, lorsque les animaux se trouvent en position de causer des dommages à l’environnement, cette situation est la plupart du temps la conséquence d’interventions humaines dans le milieu. Il n’en demeure pas moins qu’elle ouvre la porte à des mesures de gestion qui nous sembleraient totalement inacceptables pour certaines catégories d’animaux. Par exemple, l’idée de permettre la chasse aux chats domestiques en choquerait sans doute plus d’un. Pourtant, cette espèce exotique répond aux caractéristiques d’un contaminant bien plus que les cerfs de Virginie, loups et dindons sauvages. Mais, signe d’une certaine incohérence dans les discours de gestion des animaux, la position privilégiée des chats dans le cœur des humains amène ces derniers à prendre conscience de la violence de la chasse en tant qu’outil de gestion privilégié et les conduit à envisager des mesures non létales pour contrôler leur population.
En ce qui concerne la conservation et la gestion durable des ressources, elles s’inscrivent, lorsqu’il en est question dans un contexte de chasse et de pêche, dans une perspective de mise en valeur économique de ces ressources plutôt que de recherche du plus grand équilibre possible du milieu. Cet objectif de mise en valeur peut prendre diverses formes, dont celle d’efforts concertés de la part de parties prenantes afin de maintenir les populations de contaminants dans le milieu de façon à mieux pouvoir les chasser ensuite. À cet effet, il est intéressant de noter que l’atteinte d’un certain équilibre du milieu représenterait des risques d’affranchissement de la chasse en tant que mode de gestion privilégié de la faune, une avenue allant à l’encontre des visées de la LCMVF.
L’idée reçue selon laquelle la chasse et la pêche sont des activités pratiquées par des amoureux de la nature qui favorisent un contact positif avec celle-ci occulte très certainement la portée de leurs impacts environnementaux. Elle occulte également la nature violente de ce contact. Loin d’être positif, il serait tout simplement illégal s’il concernait des animaux protégés par la LBÊSA. En outre, et à l’instar des autres rapports qu’entretiennent les humains avec les animaux, la chasse et la pêche semblent davantage relever d’une autre forme d’instrumentalisation des animaux que d’un réel souci pour la nature. La notion d’amour de la nature revêt, elle aussi, une tout autre apparence. Peut-être que l’amour, tout comme le sont les animaux, peut être conceptualisé au gré des envies et préférences des humains.
Notes et références
↑1 | Dans le cadre de cet article, l’expression consacrée « chasse et pêche » inclut les activités de piégeage. |
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↑2 | Morgane Le Poaizard, « Les chats, responsables d’un désastre écologique », Sciences et Avenir, 25 septembre 2016. |
↑3 | Arie Trouwborst, « Domestic Cats and International Wildlife Law – Turning a Blind Eye to One of the World’s Worst Invasive Alien Species? », conférence donnée lors du Edward and Bonnie Foreman Biodiversity Lecture, Stetson University, 1er avril 2020. |
↑4 | Musée de la civilisation, « Histoires de pêche : une exposition 100 % québécoise qui donne le goût de mordre à l’hameçon », communiqué de presse, jeudi 25 juin 2020. |
↑5, ↑21 | Ibid. |
↑6 | Ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec, « Portrait-diagnostic sectoriel sur l’aquaculture en eau douce au Québec », 2019, p. 5. |
↑7 | Ibid, p. 14. |
↑8 | Paul Watson dans « Can Seafood be sustainable? Captain Paul Watson of Sea Shepherd has the answer… and a warning », Eat for the planet Podcast with Nil Zacharias, n° 10, 2 août 2017. |
↑9 | Tacon et al., 2010, dans Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture, « Le développement de l’aquaculture – 5. L’utilisation des poissons sauvages comme aliment en aquaculture », n° 5, 2013. |
↑10 | Pallab Kumer Sarker et al., « Sustainability issues related to feeding salmonids : A Canadian perspective », Reviews in Aquaculture, n° 5(4), décembre 2013. |
↑11 | Paul Watson, op. cit. |
↑12 | Jillian P. Fry et al., « Feed conversion efficiency in aquaculture : do we measure it correctly? », Environmental Research Letters, n °13, février 2018. |
↑13 | En 2021, le Jour du dépassement est survenu le 29 juillet. Il s’agit de la date à laquelle l’humain a, notamment, pêché plus de poissons et consommé plus de ressources végétales que ce que peut lui procurer la planète au cours d’une année. |
↑14 | À travers le monde, 957 millions de personnes souffrent de la faim (Gernot Laganda, « 2021 is going to be a bad year for hunger », UN Food Systems Summit 2021, 22 avril 2021. |
↑15 | Waly Ndianco Ndiaye, Dynamiques du phosphore chez la truite arc-en-ciel (Oncorhynchus mykiss) : impacts de la chélation intestinale et adaptations physiologiques en cas de carence, thèse de doctorat en sciences animales soutenue en 2020 à Québec sous la direction de Grant William Vandenberg et la codirection de Marie-Pierre Létourneau-Montminy, Université Laval. |
↑16 | Annabelle Blais, « Au moins 200 lacs malades du Québec agonisent à petit feu », Le Journal de Québec, 3 août 2019. |
↑17 | Louis-Gilles Francoeur, « La truite arc-en-ciel, invasion ou nécessité ? », Le Devoir, 2 juin 2006. |
↑18 | Jean Hamann, « Le péril arc-en-ciel », ULaval nouvelles, 5 mai 2010. |
↑19 | L’omble de fontaine est en outre surexploité par la pêche sportive ; il souffre donc doublement de cette activité. |
↑20 | Pierre Gingras, « Le ver de terre menace nos forêts », La Presse, 22 janvier 2017. |
↑22 | Anne-Sophie Poiré, « La chasse est plus populaire que jamais », Le Journal de Montréal, 3 octobre 2021. |
↑23 | Propos de Michel Baril, de la Fédération québécoise des chasseurs et pêcheurs, dans Anne-Sophie Poiré, op. cit. |
↑24 | La déprédation consiste en le saccage, le pillage ou la destruction de cultures ou d’installations humaines par un animal. |
↑25 | Louis Robert, Pour le bien de la terre, Éditions MultiMondes, 2021, 160 p. |
↑26 | Ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec, op. cit., p. 5. |
↑27 | Chatam House, op. cit. |
↑28 | Fédération québécoise des chasseurs et pêcheurs, « Une première au Québec : signature d’un partenariat permanent pour un projet de jumelage entre les agriculteurs et les chasseurs », communiqué de presse, 29 mars 2019. |
↑29 | Claudio Sillero et M. K. Laurenson, « Interactions between carnivores and local communities : conflict or co-existence? », dans Carnivore Conservation, J. L. Gittleman, S. M. Funk, D. Macdonald, et R. K. Wayne, eds., Cambridge University Press, 2001, pp. 282-312 / Simon Thirgood, Rosie Woodroffe et Alan Rabinowitz, « The impact of human-wildlife conflict on human lives and livelihoods », dans People and Wildlife: Conflict or Coexistence, Cambridge University Press, 2005, pp. 13-26. |
↑30 | Adrian Treves et L. Naughton-Treves, « Evaluating lethal control in the management of human-wildlife conflict », dans People and Wildlife: Conflict or Coexistence, Cambridge University Press, 2005, pp. 86-106. |
↑31 | Émélie Rivard-Boudreau, « Loups : 400 veaux mangés en huit ans », La Terre de chez nous, 10 janvier 2018. |
↑32 | Julien Pednault dans « Quelle est l’empreinte écologique de la viande de gibier ? », Moteur de recherche, Radio-Canada, épisode du 12 novembre 2019. |
↑33 | Pierre Vaillancourt, « Le loup : un bio-indicateur », Séminaire de Québec et Forêt Montmorency, 2010. |
↑34 | Jos Milner, Erlend Nilsen et Harry Andreasse, « Demographic side effects of selective hunting in ungulates and carnivores », Conservation Biology, n° 21(1), mars 2007 / Rocio Pozo, Sarah Cubaynes, Jeremy Cusack, Tim Coulson, Susanne Schindler et Aurelio Malo, « Modelling the impact of selective harvesting on red deer antlers : Hunting effects on red deer antler size », Journal of Wildlife Management, n° 80(6), mai 2016 / Casey W. Schoenebeck et Brian C. Peterson, « Evaluation of Hunter Antler-Size Selection through an Age-Specific Comparison of Harvested Antler Metrics with Naturally Cast Antlers », dans Journal of Fish and Wildlife Management, n° 5(1), février 2014. |
↑35 | Noémie Laplante, La gestion du cerf de Virginie au Québec : examen du modèle québécois et propositions de modes de gestion adaptatifs, essai de maîtrise en environnement sous la direction de Marc-André Guertin, 2015, Université de Sherbrooke. |
↑36, ↑37 | Pierre Vaillancourt, op. cit. |
↑38 | Emmanuel Dalpé-Charron, communication personnelle, MFFP, 26 octobre 2021. |
↑39 | Gouvernement du Canada, « Loup de l’Est : Profil d’espèce », Registre public des espèces en péril, 2021. |