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En tant que personne diagnostiquée sur le spectre autistique, j’ai souvent souffert de harcèlement en raison de mon atypisme. Je suis un autiste à haut niveau de fonctionnement (AHN, ndlr[1]), alors je ne peux qu’imaginer à quel point une personne touchée par une forme d’autisme sévère est traitée de manière pénible par les personnes qui l’entourent. En général, il semble que plus l’« autre » est différent.e de son entourage, moins l’attitude de ce.tte dernier.e à son égard est agréable. Dans ce cas, quelle sera l’attitude de l’entourage à l’égard d’un « autre » si on ne le définit pas du tout comme « quelqu’un » ? Malheureusement, la réponse à cette question n’a pas besoin d’être imaginée – elle est sous nos yeux en permanence.
Vous avez peut-être entendu parler de la campagne populaire d’Aviram Fisher, « Autiste n’est pas une insulte ». L’objectif de cette campagne est de lutter contre les différents préjugés à l’égard des personnes autistes et contre l’utilisation du mot « autiste » comme insulte. Personnellement, je suis d’accord avec l’objectif de la campagne. Le terme « autiste » ne devrait pas être une insulte, pas plus que les termes « retardé » et « malade mental ». Ces termes sont des descriptions objectives de certaines personnes qui n’ont pas choisi d’être ainsi[2]. Tant que ces personnes ne nuisent pas aux autres, je ne vois aucune raison d’utiliser ces étiquettes comme insultes. Mais qu’en est-il des termes « porc », « âne », « bête » et « cervelle d’oiseau » ? S’agit-il d’insultes ? Après tout, un oiseau ne choisit pas d’être un oiseau, pas plus qu’un.e autiste ne choisit d’être autiste.
Différent et encore différent
J’aime beaucoup les animaux et j’ai du mal à supporter leur effacement métaphorique et littéral. Cet effacement se produit à plusieurs niveaux : tout d’abord, il y a une tendance à ignorer leurs besoins et à les traiter comme s’ils n’étaient pas matériellement différents des objets inanimés de ce monde. Ensuite, il y a la mise à mort, l’exploitation systématique et la destruction de leur habitat. Ces tendances à l’égard des animaux découlent, selon moi, de l’indifférence à l’égard de la souffrance qui leur est causée et du fait qu’on les perçoit comme inférieurs. Mais sont-ils vraiment inférieurs ? Selon quel critère cette « infériorité » a-t-elle été déterminée ? Je crois qu’il est possible de changer la façon dont nous évaluons la valeur des autres et que ce changement peut également entraîner un changement concret de notre attitude à leur égard.
Tout comme l’utilisation du mot « autiste » en tant qu’insulte découle de la stigmatisation des personnes autistes, il se peut également que l’expression « cervelle d’oiseau » soit utilisée entre autres en raison de l’ignorance de sa véritable signification. Un oiseau de l’espèce du casse-noix de Clark, par exemple, peut stocker plus de 30 000 pignons de pin dans plus de 2 000 endroits sur une superficie de plus de 160 km2 et mémoriser plus de 70 % de ses cachettes. Combien d’humains sont capables de faire cela ? Ou de migrer sur des dizaines de milliers de kilomètres en utilisant comme moyens de navigation le soleil, les étoiles, les bruits du vent et de la mer, les changements de pression barométrique, etc. ?
Les capacités sont-elles déterminantes ?
Le concept de « capacitisme » (ou « validisme » ; ableism en anglais) désigne la discrimination à l’encontre des personnes handicapées. Les « capacitistes » tendent à définir les personnes handicapées par leur handicap, et les considèrent souvent comme inférieures aux personnes qui n’en ont pas. L’idée qui sous-tend la pensée capacitiste est qu’une personne doit répondre à certaines normes fixées par la société.
Ce point est illustré par un dicton attribué à tort à Albert Einstein : « Tout le monde est un génie. Mais si vous jugez un poisson sur sa capacité à grimper à un arbre, il passera sa vie à croire qu’il est stupide ». Rapporté aux humain.es, si nous devions déterminer la valeur des personnes en fonction de leur capacité à courir, l’astrophysicien talentueux Stephen Hawking, qui souffrait de paralysie due à la SLA [3], serait considéré comme sans valeur à nos yeux. En revanche, si nous devions déterminer la valeur des personnes en fonction de leurs capacités intellectuelles, celle de Hawking serait bien plus élevée que celle d’une personne moyenne. De même, je pense que les animaux non humains sont régulièrement rabaissés par les humain.es parce que la plupart de ces dernier.es les évalue en fonction de normes prédéterminées pour les capacités humaines.
Le capacitisme est étroitement lié au spécisme (un concept qui désigne le fait de distinguer au niveau moral en discriminant les animaux en fonction de leur espèce). Cette relation entre capacitisme et spécisme est un motif central de l’œuvre de Sunaura Taylor. Taylor, qui se déplace en fauteuil roulant en raison d’une arthrogrypose, est une artiste américaine qui se bat pour les droits des personnes handicapées et des animaux. Elle est également l’autrice du livre Beasts of Burden: Animal and Disability Liberation [4], qui traite des liens entre la lutte pour les droits des personnes handicapées et celle pour les droits des animaux. Comme elle le dit, « qualifier quelqu’un d’animal nous libère de toute obligation morale et de la honte que nous devrions ressentir quand un être est réifié[5] ».
La comparaison a-t-elle sa place ?
Les personnes handicapées sont souvent comparées à des non-humains, la plupart du temps avec condescendance. Certain.es diront que le lien que je fais entre le capacitisme et le spécisme est une insulte aux personnes handicapées, mais pourquoi ? Si la distinction que les humain.es établissent entre ell.eux-mêmes et les autres espèces animales est effectivement basée sur les capacités, en quoi est-elle si différente de la distinction qu’iels opèrent aussi entre humains ayant des capacités différentes ? Peut-être qu’en tant qu’humain.es, nous sommes tellement habitué.es à l’idée que nous sommes différents du reste du monde animal que nous ne prenons plus la peine de justifier cette distinction et que la remettre en question est automatiquement perçu comme un blasphème.
Taylor pense qu’il est possible de changer notre perception du sujet. Elle suggère d’arrêter de voir ces comparaisons comme une chose si négative. « Et si, au lieu de nous humilier, le fait de revendiquer notre animalité était une façon de remettre en cause la violence de l’animalisation et du spécisme – d’admettre que la libération de l’animal est indissociable de la nôtre ?[6] », demande-t-elle. En d’autres termes, que se passerait-il si nous ne considérions pas la comparaison avec d’autres espèces comme une insulte, mais si nous portions cette étiquette avec la fierté d’être égaux malgré notre différence ? Et si nous y voyions une raison supplémentaire de faire preuve d’empathie envers les autres, quelle que soit leur différence avec nous ? Peut-être que non seulement les autres espèces en bénéficieront, mais aussi notre propre espèce. Je pense que moins nous trouverons de raisons de rabaisser les autres, plus notre attitude générale changera à l’égard de celles et ceux qui sont différents de nous, quelles que soient leurs différences.
On dit que la pensée crée la réalité. Selon cette idée, une pensée insultante peut produire une réalité délétère. Si je sais que quelqu’un est différent de moi et que je pointe du doigt sa différence en l’insultant, cela peut lui causer un préjudice réel. Lorsque nous faisons cela, nous nous faisons du mal à tous, car nous sommes tous différents les uns des autres à un certain degré. Ainsi, pour changer la réalité, nous devons d’abord changer notre état d’esprit. Il est temps que nous cessions d’utiliser des mots comme « autiste » et « porc » comme des termes péjoratifs et que nous commencions à considérer ces mots comme purement descriptifs, des caractérisations sans jugement.
Cet article a été originellement publié en hébreu dans la revue en ligne Shavvim, le 6 octobre 2022.
Notes et références
↑1 | L’expression autisme à haut niveau de fonctionnement, AHN ou AHF (en anglais high-functioning autism ou HFA) désigne toute forme d’autisme quand la personne concernée est, à des degrés divers, capable d’exprimer son intelligence et d’avoir des interactions sociales (Wikipédia). |
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↑2 | Ces termes ne sont peut-être pas les plus judicieux, mais ils ont une définition clinique claire par l’American Psychiatric Association (APA). [ndt] |
↑3 | La sclérose latérale amyotrophique (SLA) ou maladie de Charcot se caractérise par une perte progressive des neurones moteurs du cerveau et de la moelle. |
↑4 | Le livre a été traduit et publié en français : Sunaura Taylor, Braves bêtes : animaux et handicapés, même combat ?, Éd. du Portrait, 2019. |
↑5 | Sunaura Taylor, op. cit., p. 134. |
↑6 | Sunaura Taylor, op. cit., p. 137. |