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Antispéciste de la première heure, Daniel Roy militait pour la justice sociale depuis de nombreuses années. Il était une figure importante du mouvement animaliste québécois. Il travaillait le plus souvent dans l’ombre. Il est décédé la semaine passée. Nous lui rendons hommage.
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Il est de ces personnes dont le regard vous touche, sans qu’on sache véritablement pourquoi. Daniel Roy était l’une d’elles. À l’annonce de sa mort, sur Facebook, nombreux·ses sont celles et ceux qui l’ont évoqué, ce regard. Aussi doux que déterminé.
J’ai rencontré Daniel pour la première fois en 2017, sur les conseils de Christiane Bailey, autrice et philosophe antispéciste. Je travaillais sur l’animalisme au Québec. Christiane était formelle : “Si tu veux comprendre le mouvement québécois, il faut absolument que tu rencontres Daniel, de Résistance Animale”. Il a très vite accepté de me donner une entrevue. C’était à la Panthère Verte, rue Saint-Denis. Je n’étais pas très à l’aise. Je maîtrisais mal les codes de l’entrevue sociologique et je ne savais pas trop comment me situer : j’étais végane depuis peu, pas tout à fait antispéciste. En plus, Daniel était un activiste chevronné. Bref, j’étais intimidée. “Je ne suis pas une militante”, voilà la première chose que je lui ai dite.
Il m’a tout de suite mise à l’aise, comme il savait si bien le faire. On a parlé pendant plus d’une heure, de son parcours personnel, de véganisme, d’antispécisme, d’antifascisme… Ancien disquaire, Daniel avait commencé à militer au sein des milieux libertaires dans les années 1980. C’est dans ces années-là qu’il écoute un documentaire sur l’expérimentation animale nommé Crimes Cachés (1986). Deux semaines après, il devient végétarien. Mais il ne s’arrête pas là. Il se renseigne sur les produits laitiers, et s’aperçoit rapidement que l’exploitation des vaches pose problème. Il devient végane. À l’époque, il fallait une détermination inébranlable pour trouver des informations sur l’exploitation animale. Il en fallait encore plus pour se passer totalement de produits animaux.
C’est en 2011 que naît le groupe Résistance Animale. Daniel va rapidement devenir une figure clé de ce collectif autogéré qui tient des vigiles à plusieurs endroits de Montréal pour dénoncer le spécisme et parler de véganisme. Il aimait le nom Résistance Animale, disait-il : cela montrait que les animaux résistent, eux aussi. Daniel était de tous les combats de justice sociale. Il distribuait régulièrement de la nourriture à ceux et celles qui en avaient besoin. Il se définissait comme véganarchiste et embrassait dans son engagement toutes les discriminations envers les humains et les autres animaux. La convergence des luttes était pour lui plus qu’un mot d’ordre stratégique : c’était une éthique de vie. Il rêvait d’un monde sans oppression, sans racisme, sans sexisme et sans spécisme. Il partageait sa vie avec une chienne qu’il adorait, Frip, qu’il avait sortie de la rue.
La première fois que nous nous sommes rencontrés, il m’a raconté ce qu’il avait vu dans un élevage porcin. Je me suis mise à pleurer. Je ne m’explique pas pourquoi cette émotion a surgi face à quelqu’un que je ne connaissais pas une heure auparavant, qui plus est dans le cadre d’une recherche sociologique.
Pourtant, celles et ceux qui connaissaient Daniel savent sans doute pourquoi j’ai osé, ce jour-là, exprimer ma tristesse. Son regard bienveillant m’y avait invitée. Il m’a pris la main et m’a dit d’une voix douce : “T’as beau dire que t’es pas une militante, t’es une militante”. Tout à coup, je ne me suis plus sentie seule à trouver déchirante la souffrance qu’on inflige aux animaux. Daniel m’a pris la main, au sens propre comme au figuré, dans mon parcours d’engagement antispéciste. Je sais aujourd’hui que je ne suis pas la seule qu’il a accueillie, encouragée et accompagnée dans le militantisme.
Tous les sociologues des mouvements sociaux le diront : leurs travaux de recherche et même, dans une certaine mesure, leur reconnaissance universitaire, n’existeraient pas sans la générosité de ceux et celles qui montent au front et mettent leur cœur au service des luttes pour la justice. D’innombrables livres ont été écrits sur le changement social. Pourtant, au-delà de la théorie, faire de la sociologie de l’action collective, c’est aussi s’intéresser à celles et ceux qui la font, celles et ceux qui la vivent. À leur quotidien, leurs espoirs, leurs rêves brisés. C’est grâce à des gens comme Daniel que la sociologie est une discipline riche et passionnante. C’est parce que des gens inspirants comme lui existent que j’ai choisi de devenir sociologue.
Sa vie fut dédiée au militantisme. C’était un pilier du mouvement antispéciste québécois. Mais c’était un homme discret, qui n’aimait guère être sur le devant de la scène. Il aura fallu qu’il s’éteigne pour pouvoir lui rendre hommage sans trop le gêner. La dernière fois que je l’ai vu, en 2022, il m’avait montré sa moto électrique, qui collait si bien à son personnage, aussi libre et frondeur que respectueux et soucieux des autres. Il portait, si ma mémoire est bonne, un chandail noir sur lequel on pouvait voir un poing humain et une patte animale levées. Il participait à l’organisation de la journée mondiale pour la fin du spécisme.
Il va nous manquer.
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Je remercie Valéry Giroux, qui connaissait Daniel Roy depuis de nombreuses années, pour sa relecture attentionnée ainsi que ses suggestions pleines de sensibilité. Merci à Christiane Bailey pour ses encouragements chaleureux et à Jean-François Guyon, que Daniel considérait comme un membre de sa famille, pour les généreuses précisions. Ce texte est écrit à la première personne mais n’aurait pu être composé sans l’affection collective que portait la communauté antispéciste québécoise à Daniel.
