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Depuis août 2023, la Fresque des animaux propose un outil de sensibilisation et de formation sur la question animale, fondé sur l’intelligence collective et la coopération. Destinée à tous les publics, néophytes comme spécialistes, l’objectif de la fresque est de faire découvrir à tous·tes les participant·es les enjeux et la complexité de la question animale, de manière ludique et collaborative. Les deux co-créatrices de la Fresque des animaux, Marie-Laure et Anne-Laure, ont accepté de présenter ce nouvel outil prometteur aux lecteur·ices de L’Amorce.
Marie-Laure Laprade est enseignante, biologiste de formation et titulaire du diplôme universitaire “Animaux et société” de l’Université Rennes 2, où elle a rencontré Anne-Laure. Elle est co-fondatrice de l’association Éducation éthique animale et co-créatrice de la Fresque des Animaux.
Anne-Laure Meynckens est juriste, formatrice-consultante sur la question des animaux et fondatrice de l’entreprise Drôle De zèbre, par laquelle elle accompagne les collectivités territoriales et les entreprises à considérer la question animale dans leurs activités. Elle est également vice-présidente d’Éducation éthique animale et co-créatrice de la Fresque des animaux.
Comment est née l’idée de la Fresque des animaux et quel est son objectif ?
Anne-Laure Meynckens : Nous avons découvert les ateliers fresques grâce à la Fresque du climat en 2020. Avec d’autres membres de l’association Éducation éthique animale, nous avons constaté que les enjeux concernant les animaux y manquaient, et on a eu l’idée de créer une fresque entièrement consacrée aux animaux. On trouvait la forme des ateliers fresques particulièrement pertinente pour aborder un tel sujet, à la fois avec le grand public, mais aussi au sein des collectivités territoriales et des entreprises, car c’est un outil collaboratif qui permet de susciter des prises de conscience et de transmettre des connaissances, tout en mobilisant une grande intelligence collective.
Marie-Laure Laprade : Ce qui nous intéressait dans le format des fresques, et en particulier dans la Fresque du climat, c’est la rigueur scientifique. Pour la Fresque des animaux, nous souhaitions conserver à la fois le côté collaboratif et ludique de l’atelier et la rigueur scientifique des contenus. On sait combien le sujet des animaux et des rapports humains-animaux peut être clivant, c’est pourquoi on tenait à proposer quelque chose de factuel, qui ne soit pas du prosélytisme ni dans un sens ni dans l’autre, mais qui repose sur des données scientifiques indiscutables.
Anne-Laure Meynckens : Et pour élaborer une telle fresque, on a créé un comité scientifique et un groupe de contributeur·ices. On a fait appel à des chercheur·euses spécialistes dans des disciplines connexes à la question animale, comme la biologie, l’économie, l’éthologie, la neurobiologie, la sociologie, etc. Ces spécialistes ont travaillé pendant deux ans à la rédaction des textes de la fresque, pour que notre outil soit rigoureux.
Comment fonctionne la Fresque des animaux ?
Anne-Laure Meynckens : Comme la Fresque du climat, la Fresque des animaux est composée de cartes distribuées par lots. Pendant environ trois heures, les participants et participantes sont amené·es à trouver ensemble des liens pertinents entre les cartes et les agencer entre elles. Iels peuvent ensuite y ajouter des titres, des sous titres qui expliquent pourquoi ces cartes ont été regroupées de telle ou telle façon, et s’approprier la fresque qu’iels ont réalisée collectivement.
Marie-Laure Laprade : À l’issue de la fresque, les participant·es reçoivent un mail avec une photo de leur fresque, car chaque fresque est unique et peut être très différente d’un groupe à l’autre ! La fresque peut être de nouveau consultée si besoin, et elle est également accompagnée d’une bibliographie et d’une sitographie pour aller plus loin, creuser certains sujets.
Anne-Laure Meynckens : La fresque des animaux est composée d’une soixantaine de cartes, ce qui permet, sans être exhaustif, de rendre compte de la transversalité de la question animale et de son caractère systémique. D’ailleurs, comme les autres fresques, la Fresque des animaux renvoie vers d’autres fresques : des cartes sur le réchauffement climatique renvoient par exemple vers la Fresque du climat, d’autres à la Fresque de la Biodiversité, ou encore à la Fresque de l’Alimentation. Dans la Fresque des animaux, on retrouve également des cartes de définition de certains termes souvent galvaudés, comme ceux de spécisme, d’antispécisme, de sentience, de sensibilité. L’objectif est qu’à la fin de la Fresque des animaux, les participant·es aient une idée précise de ces termes-là.
Y a-t-il des débats pendant la fresque ?
Marie-Laure Laprade : Oui, pendant la fresque, les participant·es sont tenté·es de débattre, parfois longuement. Mais le but n’est pas de débattre de chaque carte, on n’en finirait pas ! Un dernier temps de discussion, d’environ une heure, est consacré aux échanges entre les participant·es sur leur prise de conscience et sur les manières de répondre aux enjeux révélés par la fresque. Car la réalisation de la fresque conduit à interroger les activités humaines en général mais aussi nos propres activités et nos propres pratiques de consommation. Les échanges sont souvent très riches, et une place est laissée à l’expression des émotions, afin que les participant·es ne repartent pas avec une lourdeur émotionnelle parfois difficile à gérer.
Anne-Laure Meynckens : Nous avons d’ailleurs choisi un parti pris différent de celui de la Fresque du climat et de la plupart des autres fresques auxquelles nous nous sommes formées. Nous, nous avons décidé d’inclure dans nos cartes des pistes de solutions. Dans la Fresque des animaux, nous proposons par exemple la carte “Innovation en faveur des animaux” qui présente les alternatives au cuir et à la laine. Il y a aussi une carte sur les “mouvements de défense des animaux”, présentant quelques activités associatives. À partir de ces cartes, chacun·e peut être amené·e à réfléchir pendant la fresque à ce qu’iel pourrait changer dans ses pratiques : par exemple s’engager à manger moins de viande, s’investir dans une association de protection animale, ou encore se regrouper pour demander une option végétarienne quotidienne dans le service de restauration collective de son lieu de travail. Évidemment, ces pistes de solutions ne sont pas données clé en main par les animateur·ices : elles émergent des échanges suscités par les cartes et leur disposition, et les participant·es repartent avec différentes pistes de solutions à l’échelle individuelle et collective.
Marie-Laure Laprade : Pour donner un autre exemple, nous avons organisé une fresque dans une entreprise qui utilise des matières premières issues d’animaux pour sa production. Parmi les pistes qui sont nées des échanges entre les collègues, la provenance des produits animaux, ou encore la possibilité d’avoir un regard sur les conditions d’élevage ont été discutées. Pendant la fresque, les organisateurs et organisatrices n’émettent pas de suggestions, les pistes sont proposées directement par les participant·es : c’est un aspect central de la démarche de la Fresque des animaux.
Craignez-vous que la fresque puisse être utilisée pour faire de l’animal welfare washing ?
Marie-Laure Laprade : En effet, nous sommes attentives à l’intention affichée par les organismes qui entrent en contact avec nous pour suivre une fresque des animaux. Nous nous assurons qu’il ne s’agit pas de faire une fresque pour faire une fresque, mais que des objectifs ont été définis en amont. Par exemple, concernant l’entreprise évoquée plus haut, leur démarche consistait à faire le lien entre le métier des participant·es et la question animale. Et c’était d’ailleurs une fresque très intéressante, paradoxalement, car les personnes présentes n’avaient pas choisi de faire cet atelier et ne voyaient pas forcément ce qu’iels pouvaient y apprendre. Certain·es sont arrivé·es avec des idées préconçues. L’une des participantes nous a dit qu’elle pensait qu’on allait lui expliquer comment devenir végane, et qu’elle s’était finalement rendu compte que ce n’était pas le cas. À la fin de la fresque, elle était très contente d’avoir appris toutes ces choses, qui l’ont fait cogiter. Dans cette situation, on atteint notre objectif.
Anne-Laure Meynckens : Les personnes qui s’inscrivent à une Fresque des animaux grand public sont souvent des personnes déjà intéressées par la question animale. C’est également très intéressant de faire une fresque auprès de personnes qui sont déjà un minimum engagées, car elles peuvent encore monter en compétences, acquérir de nouvelles connaissances sur le sujet et maîtriser des arguments scientifiques à opposer aux anti-animaux, voire même faire émerger de nouveaux leviers d’action. Mais ce n’est pas forcément auprès des personnes déjà informées sur le sujet qu’on aura le plus d’effet positif pour les animaux.
Comment faire pour participer à une fresque ?
Anne-Laure Meynckens : Nous sommes joignables via nos réseaux sociaux ou notre site internet, où nous actualisons les dates des prochaines fresques en présentiel. Il est aussi possible de suivre des fresques en distanciel chaque semaine ! Elles sont ouvertes à tout le monde, quel que soit son niveau de connaissances sur la condition animale.
Marie-Laure Laprade : D’ailleurs, une version junior de la Fresque des Animaux sera proposée prochainement, avec moins de cartes que pour la version adulte, sans pour autant que le contenu soit altéré. La version adulte peut aussi être adaptée à des adolescent·es et peut être réalisée en famille.
Peut-on être formé·e à l’animation de Fresque des animaux ?
Anne-Laure Meynckens : Nous sommes justement en train d’élaborer le parcours de formation. La question animale est un sujet tellement clivant, qu’il est important de s’assurer que les animateurs et animatrices ne déforment pas le propos des cartes, et que l’objectif de la fresque ne soit pas dévoyé. Pour pouvoir répondre aux questions des participant·es, les animateur·ices sont amené·es à lire un livret de formation, où chaque thématique est accompagnée de deux ou trois pages rédigées par un·e spécialiste. La formation à la Fresque des animaux est donc relativement longue, car nous souhaitons déployer la fresque dans les meilleures conditions. De la même manière que nous nous soucions de l’usage qui peut être fait de la fresque des animaux, nous nous assurons de proposer des animations rigoureuses sur le plan scientifique et déontologique.
Marie-Laure Laprade : D’ailleurs, nous avons eu beaucoup de retours positifs, notamment de personnes déjà animatrices de la Fresque du climat et qui souhaiteraient animer des Fresques des animaux. C’est très encourageant pour la suite !
Quelles sont les principales réussites de la Fresque des animaux ?
Marie-Laure Laprade : Il me semble que la Fresque des animaux suscite un fort engouement, qui s’inscrit dans un contexte plus général d’intérêt pour la question animale, notamment sur les scènes politique et médiatique. À ce titre, notre fresque arrive à point nommé.
Anne-Laure Meynckens : Pour moi, l’une des belles réussites est d’être parvenu à intéresser des personnes qui, au départ, ne le sont pas. Réussir à impliquer des personnes qui n’avaient pas envie de suivre une fresque, c’est le signe qu’elle fonctionne ! J’ai aussi entendu à plusieurs reprises des personnes me dire qu’elles n’avaient aucune idée de ce qu’il se passait en France pour les animaux, et que la fresque leur avait “ouvert les yeux” sur cette question.
Marie-Laure Laprade : Oui, la fresque permet de révéler de nombreux points méconnus, voire cachés. On a une carte “zootechnie” qui est très parlante à ce sujet, où de nombreuses personnes peuvent découvrir l’évolution des chiffres de production de lait par vache, qui ont été multiplié par six en soixante ans. Et ça évidemment, on ne le sait pas quand on achète son litre de lait. La fresque permet de prendre conscience de tout cela, à partir des données scientifiques produites par l’INRAe (Institut National de Recherche pour l’Agriculture, l’alimentation et l’environnement, ndlr) ou le CNRS (Centre National de la Recherche Scientifique, ndlr). On ne fait que rapporter le discours scientifique, comme les animateurs de la Fresque du climat, ni plus ni moins. C’est toute la force de la Fresque des animaux.