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Dans ce texte, Richard Monvoisin et Timothée Gallen questionnent la portée épistémologique et morale du concept d’espèce. Leur constat : il s’agit d’une catégorie pratique mais arbitraire, porteuse de scories intellectuelles et éthiques. Faut-il alors s’en débarrasser ?
Résumé : À l’aide des connaissances scientifiques actuelles en biologie, ainsi que des travaux philosophiques plus classiques sur la question du réalisme et du nominalisme, nous analyserons quelle position, entre la position réaliste et la position nominaliste, est la plus à même de rendre compte de la réalité biologique des individus. Nos préoccupations éthiques concernent non seulement les répercussions du nominalisme et du réalisme, mais aussi les mauvaises interprétations dont souffre encore la théorie néo-darwinienne de l’évolution. Les sciences biologiques, toujours en friction avec des modèles d’ordres moraux transcendants, sont difficiles à posséder sur le plan épistémologique pour le grand public. Nous tâchons en conséquence de corriger au passage quelques biais ainsi que les mésinterprétations les plus communes sur la théorie de l’évolution et qui promeuvent insidieusement des formes modernes de finalisme et de morale spiritualiste.
Afin de pouvoir étudier le monde, il semble indispensable de le catégoriser. Si les prémices de la taxonomie, art de poser des taxons, sont anciennes – on parle à propos des chasseurs-cueilleurs du Néolithique de parataxinomie –, la contribution de Linné avec sa systématique a effectivement été salutaire, attendu que toute science serait compromise si nous donnions un nom distinct à chaque arbre, chaque champignon ou chaque fourmi étudiée. Cette systématique est devenue phylogénétique au milieu du XXe siècle, c’est-à-dire qu’elle narre désormais sous forme de clades les parentés historiques entre les espèces. Le rôle des systématiciens consiste ainsi à trouver des classifications rationnelles du vivant, en réunissant les individus dans des « boites », des taxons, plus ou moins proches selon leur parenté, plus ou moins grandes selon leur critère d’inclusion. Ainsi, règne, embranchement, classe, ordre, famille, genre et espèce sont les boites principales, la dernière étant considérée comme la plus fondamentale d’entre elles. La définition moderne d’une espèce est, en dépit de quelques lacunes, substantiellement celle donnée par le biologiste Ernst Mayr en 1942 : « une espèce, taxon de base de la systématique, est une population dont les individus peuvent effectivement ou potentiellement se reproduire entre eux et engendrer une descendance viable et féconde, dans des conditions naturelles [1] ». Deux grandes écoles épistémologiques s’affrontent en sciences biologiques sur l’ontologie (le « type d’existence ») de la notion d’espèce. La première école, qu’on qualifie habituellement de réaliste, postule non sans répercussions morales que les espèces existent en soi. La seconde, dite nominaliste, pose quant à elle que l’espèce n’a pas d’existence propre, et qu’elle n’est que le fruit mental de la catégorisation humaine. Dans cet article, nous analyserons ces deux positions, et proposerons une manière de les subsumer, tout en prenant en compte leurs retombées morales respectives.
La première école, la plus intuitive, certes, mais aussi la plus productive en termes de connaissances probablement du fait de son ancienneté, pose l’existence des espèces comme réelles. De grands noms s’y retrouvent, par exemple Linné, Haldane, ou Mayr. La pensée réaliste soutient que les propriétés d’une espèce ont une réalité universelle qui transcende les individus et les concepts. En ce sens, elle peut être qualifiée d’essentialiste : il y aurait une essence commune de Chat domestique pour tous les chats domestiques existants. Pour les réalistes, si les chats sont des chats, c’est qu’ils possèdent une essence de Chat. On notera que l’essence de Chat se définit par… ce qui est commun à tous les chats, donc nous sommes dans ce type d’énoncé proche de la tautologie. Chose importante comme nous le verrons plus tard, c’est aussi précisément cette essence qui ferait que les chats Felis catus font des chats Felis catus. Dans cette perspective, pour Ernst Mayr, lorsque deux individus de deux espèces distinctes se reproduisent et donnent naissance à un hybride, les deux individus ont ainsi commis une erreur (mistake) [2]. Une espèce est pour lui la propriété non d’un individu, mais d’une population. Les détails d’une espèce peuvent être décrits et délimités par le biologiste, mais ne peuvent pas être ontologiquement définis [3]. Tout en étant conscient de certaines limites de sa définition de l’espèce, qui n’est par exemple pas opératoire pour les espèces asexuées, Mayr critique ce qu’il perçoit comme problématique dans la position nominaliste. Selon lui, la notion d’espèce ne peut pas être seulement le résultat d’une subjectivité, et renvoie forcément à une réalité non arbitraire. L’« espèce » n’est pas une construction de l’esprit, mais un fait réel et irréductible. Pour preuve, il rapporte que des civilisations dites « primitives » de Nouvelle-Guinée reconnaissent comme espèces les mêmes entités que les systématiciens [4].
L’école réaliste rencontre cependant un certain nombre de problèmes majeurs. Comme nous l’avons déjà évoqué, le premier problème colossal vient du fait qu’il existe des espèces différentes qui s’interpénètrent, au sens propre comme au figuré. Des individus d’espèces normalement distinctes comme l’Ours polaire et le Grizzly peuvent avoir une descendance féconde que l’on nomme pizzly, nanulak, ou grolar ‒ et comme on dit parfois chez les rares humoristes biologistes, le grolar n’est pas une mince affaire. Nous devons de pouvoir aujourd’hui manger des clémentines ou des bananes à la même capacité d’hybridation des végétaux, encore plus fréquente que chez les animaux [5]. Au-delà des hybridations, il existe des cas, certes rares, de ce que l’on nomme des variations clinales, ou « espèces en anneaux ». Ces variations sont originaires d’une même population ayant connu au minimum trois sous-spéciations. On peut se représenter la population totale comme un continuum, contenant les populations 1, 2, 3... Leur particularité vient du fait que la population 2 est restée suffisamment proche de la population 1, et permet leur interfécondité. De même, la population 2 est interféconde avec la population 3. Tandis que 1 et 2, ainsi que 2 et 3 peuvent avoir une descendance féconde, on constate que 1 et 3 ont une trop grande divergence génétique, ou une sélection naturelle divergente, pour, elles, être interfécondes [6]. Tandis qu’aucune barrière à la reproduction n’est présente entre 1 et 2, et 2 et 3, une barrière s’est donc formée entre 1 et 3 par un cumul de petites variations qui ne s’avèrent pas suffisantes à former un clivage entre les populations les plus proches dans ce continuum. Mettre ici une limite pour définir où commence et où finit réellement l’espèce devient problématique, et c’est le cas, par exemple des pouillots verdâtres, petits oiseaux de l’Himalaya, ou vraisemblablement aussi des goélands argentés [7]. Même en faisant omission des individus asexués qui ne rentrent pas dans la conception classique de l’espèce selon Mayr, la définition réaliste de l’espèce perd en vraisemblance, en vérisimilitude, pour reprendre un terme poppérien [8], par rapport à ce que le monde semble être.

Le deuxième problème est plus complexe : il vient de ce que l’espèce est une entité que l’on ne peut appréhender « en soi ». Ce problème est commun à toutes les entités dénombrables mais incommensurables, comme la population humaine mondiale, objet que personne n’a jamais appréhendé en tant que tel, mais qu’il est logique de postuler ; de même que la notion de littoral, par exemple, dont la longueur dépend de la granulosité de la mesure. Bien que personne n’ait jamais couvé d’un seul regard la population de chevreuils, il est logique de postuler que cette population existe et qu’elle est dénombrable.
Dans la nature, un individu chat semble être un Chat, un individu coyote un Coyote, un humain un Humain [9]. On peut donc créer l’ensemble mathématique dénombrable des « individus chats Felis catus » dans le monde, et si ces catégories sont opératoires et qu’elles font avancer la biologie, c’est probablement qu’elles ont un fond de vraisemblance, et qu’elles forment un filet suffisamment bien maillé pour appréhender assez bien ce qui nous semble être la réalité. Une des limites auxquelles un raisonnement rationaliste se heurtera est bien sûr « la conscience d’espèce ». Cette notion que l’on retrouve fréquemment, en particulier chez les plus mystiques de nos contemporains, ressemble à un mélange entre les animaux-totems de certains Natives Americans, les archétypes de Jung et les « champs morphiques » du parapsychologue Sheldrake [10]. Dans une proportion conséquente des documentaires de vulgarisation animaliers, la notion de conscience d’espèce apparaît dans des phrases typiques comme « il (l’animal en question) fait ceci ou fait cela pour la survie de l’espèce ». Or rien ne se fait sur le plan évolutif pour quoi que ce soit, où le pour est un pour prospectif et finaliste. Le pour pourrait à la rigueur être utilisé par abus de langage pour dénoter un pour rétrospectif qui qualifierait les conditions de performance par lesquelles un organe a été sélectionné. Dans cette perspective, si l’œil est fait pour voir, ce n’est aucunement que l’œil était destiné à voir, mais que voir est la condition de performance qui lui a permis d’être sélectionné comme un avantage [11]. Il n’y a aucune raison valable, sinon des raisons de confort métaphysique, de postuler un but ultime ou une finalité à l’évolution. Il y en a encore moins à présumer une intentionnalité de survie de l’espèce : il faudrait pour cela une sorte de « conscience de classe » inter-individus, qu’on peine déjà à trouver chez les ouvriers ou les fonctionnaires. À la rigueur, nous pourrions même contester la notion de survie en soi, bien trop anthropo-élaborée pour être fonctionnelle : un lombric, un chat, luttent-ils pour leur survie ? Nous pouvons le présumer par analogie, mais nous n’en sommes pas certains.
En toute rigueur la notion de survie contient l’idée que l’individu est sentient [12], et « sent » sinon ce qu’est sa vie, du moins entrevoit ce qu’il peut perdre. Ce qu’on constate, c’est qu’autant chez le plant de tomate que chez un mollusque, il y a fuite d’un maximum de contraintes extérieures qui mettent en péril leur homéostasie, sans pour autant parler de survie. C’est même le cas des « individus composites », comme la Physalie, formée de quatre types de polypes différents, dont l’un des types (les dactylozoïdes) développe une toxine redoutable protégeant tout le superorganisme.
Rappelons d’ailleurs qu’aucun processus de survie n’est optimal, et que certains mènent indirectement à la mort, comme lorsque des troupeaux de cervidés, suivant un leader, tombent dans un ravin, ce qui mènerait au paradoxe d’individus mourant pour leur survie. Ne parlons même pas de certains comportements qui s’expliquent moins par recherche de survie d’un individu que par recherche de survie des gènes portés par cet individu (le caractère kamikaze des abeilles domestiques gardiennes est assez illustratif). Bref, avec cette « conscience d’espèce », on erre dans la galerie grimaçante des concepts fantomatiques imaginaires et intestables, des entéléchies, comme on disait fin XIXe. Sortons vite.
Le troisième problème est que l’utilisation du concept d’espèce essentialise à outrance un état provisoire, réifie une espèce sous la forme d’un animal de bestiaire.
Le concept d’espèce gèle un état sous la forme d’un animal particulier, ce qui ne rend pas hommage au caractère évolutif de l’espèce. Carl von Linné, qui avait l’excuse d’avoir besoin d’un étalon pour poser arbitrairement ses « types », eut l’idée de ramasser un aspic et de déclarer « ceci sera Vipera aspis », posant ainsi un « étalon » sur l’Aspic, et décrétant que tout ce qui ressemblera à l’individu étalon sera de l’espèce Vipera aspis [13].
Les systématiciens choisissent ainsi par convention de donner un nouveau nom à une « nouvelle espèce », lorsque le flux de génération de la population initiale s’est scindé. Mais le biologiste qui parle d’une espèce comprend dans sa définition toute la variabilité d’une espèce à un moment donné, tout ce qu’on appelle depuis Thomas Huxley des clines : de lentes variations au sein d’une espèce, depuis les mutants – mutant au sens de porteur d’une innovation, qu’elle soit d’ordre génétique, ou comportemental – désavantagés et stériles, qui donc, sur le plan de la définition seraient des outliers, ou « données aberrantes », à l’instar du croisement âne/jument, le mulet ; jusqu’aux mutants avantagés et potentiellement annonciateurs de l’espèce à venir, l’espèce Chat 2.0, si tant est que l’espèce Chat 1.0 soit celle d’aujourd’hui. Compter en numéros n’a aucun sens puisque c’est nous qui, au gré des découvertes de fossiles, allons discrétiser la longue filiation depuis le dernier ancêtre commun LUCA [14] jusqu’au Chat. Dire qu’en 2020 nous en sommes à l’espèce Chat n°235 n’aurait guère de sens, puisqu’il aurait déjà fallu que le proto-Chat (n°234) soit déjà lui-même un Chat.
Les chiens d’une meute sont tous uniques, et pourtant tous chiens (Canis lupus familiaris). Mais rien ne nous prouve que l’un de ces chiens n’est pas justement porteur d’une innovation qui l’avantagerait sur le plan de la reproduction, faisant de lui le père ou la mère des post-chiens, ou des chiens n+1 ? Peut-être que vous-même, qui lisez ce texte avant votre période de reproduction, êtes l’intermédiaire structural entre le sapiens et le post-sapiens ? Nous voici donc avec une notion d’espèce comme un cliché instantané, celui d’un morphotype moyen de femmes et d’hommes pour représenter la population humaine, à l’image des gravures de Femme et d’Homme dessinées sur la plaque posée en 1972 sur Pioneer 10 et destinées à nous représenter pour des extra-terrestres qui la trouveraient [15]. Le problème est en réalité le même lorsqu’on se demande quelle tête aura un enfant plus tard : cette question n’a pas de réponse si on ne précise pas à quel âge, car le visage de quelqu’un est la superposition des millions de micro-visages qui auront composé sa face au cours de sa vie. Parler d’un morphotype d’espèce, c’est poser le problème du bateau de Thésée, dont on change progressivement toutes les pièces [16], ou parler du visage de n’importe lequel d’entre nous : il y a bien un trait commun entre toutes les étapes, mais étalé comme un lavis d’aquarelle sur toute la période de notre vie.
Au vu de nos connaissances actuelles en biologie et de la théorie néo-darwinienne à travers laquelle nous comprenons le vivant, il devient difficile de défendre une position réaliste. L’enseignement principal de L’origine des espèces de Darwin est de nous faire comprendre d’où viennent les stabilités apparentes que nous percevons chez les individus. En apportant une vision de la vie sur un temps long, et non plus donnée à un moment t, nous pouvons comprendre que si les chats font des chats et non des tigres, ce n’est pas parce qu’ils sont Chats, mais parce que l’histoire de leur flux générationnel a sélectionné les individus ayant, dans un contexte donné, les qualités requises (de félinés) pour survivre et se reproduire, au détriment des nombreux individus dont les variations n’ont pas eu de succès [17]. Les tigres, eux, sont issus d’un autre processus (celui des panthérinés) qui a divergé. Comme aime le dire Dawkins, l’organisme d’un être est le meilleur moyen (à l’instant t) développé par ses réplicateurs génétiques pour optimiser leur reproduction et pour perdurer. Dit de manière plus cinglante : la poule est le meilleur moyen qu’a trouvé l’œuf de poule afin de faire un autre œuf de poule. Les individus qui se reproduisent en ce moment même sont des « stratégies » involontaires, qui pour l’instant sont gagnantes.
Cette prise de perspective par rapport à l’immédiateté de la notion d’espèce résonne comme l’écho de questions philosophiques plus vastes. Cela nous renvoie d’abord au problème classique de l’induction de Hume, ou à son expression plus contemporaine de Hempel et Goodman [18], qui soulevèrent les problèmes inhérents au raisonnement inductif. Induire qu’il fera jour demain, sur la base qu’il a fait jour les billions de jours précédents, est-il fondé logiquement, ou n’est-ce qu’un sentiment proche de l’habitude qui nous guide ?
Or, nous ne faisons qu’émettre des inductions en ce qui concerne les espèces. C’est parce que nous n’avons jamais vu de chat donner naissance à autre chose que des chats, et éventuellement parce que nous avons eu vent des lois de l’hérédité biologique de Gregor Mendel, que nous induisons qu’il est hautement probable que les chats continuent de faire des chats. Mais au même titre que nous ne savons pas si les émeraudes ne deviendront pas bleues à une certaine date t (exemple donné par Ian Hacking), nous ne savons pas de quoi exactement seront faits les chats de l’an 3000, peut-être Chats, peut-être post-Chats, peut-être post-post-Chats [19]. Cela nous renvoie ensuite plus de 2400 ans en arrière, lorsque Eubulide posait déjà le paradoxe sorite : un grain isolé ne constitue certes pas un tas, et l’ajout d’un seul grain ne fait pas d’un non-tas un tas. Devrions-nous en déduire que l’on ne peut constituer un tas par l’accumulation de grains ? Tout le monde s’accordera cependant à dire qu’un tas existe. Ce paradoxe, qui vient pour l’essentiel d’une notion sémantique poreuse ou imprécise, s’applique à la notion d’espèce. Prenant un individu Chat actuel : nous pouvons dire et voir que ses parents sont également des chats. Les parents de ses parents aussi, etc. Arrivera cependant un stade où, à force de remonter dans sa généalogie, nous retrouverons l’ancêtre commun des Chats domestiques et des Chats sauvages. Puis, un peu plus loin, l’ancêtre commun des Chats domestiques et des Léopards, et encore plus loin, celui des Chats domestiques et des Souris communes. Il n’y a de plus aucune différence majeure entre le supposé premier individu Chat de l’histoire, et le supposé dernier ancêtre commun entre les Chats et les Léopards. Par de petites variations, prises à reculons dans le temps, nous passons donc d’un individu Chat à un individu qui ne l’a jamais été. Dire que les chats donnent des Chats, c’est aussi oublier que nous n’avons aucun moyen de discerner les micro-variations qui, dans une nouvelle lignée de chats, les excluraient du taxon que nous nommons actuellement « Chat ». Le paradoxe sorite s’abat comme un cimeterre sur les mots trop vagues, dont, qu’on le regrette ou non, le mot « espèce ».
L’école nominaliste, contrairement à l’école réaliste, défend l’idée que les espèces n’existent pas en soi : elles ne sont que des vues de l’esprit, des filets qu’on lance sur la réalité. Elles n’ont d’autre vertu que de décrire au mieux les choses, ce qui suffit à légitimer leurs utilisations, à l’instar par exemple de la notion de classe sociale, celle de catégorie socio-professionnelle, ou de genre, collection d’éléments d’identité épars dépendant des constructions sociales et culturelles, n’ayant pas de substrat physiologique à proprement parler [20]. Les avantages de cette position nominaliste sont nombreux : au premier chef, celui de répondre aux trois écueils de la position réaliste que nous venons d’exposer, et en deuxième chef d’éviter (au moins en théorie) un important problème éthique.
L’avantage éthique que nous percevons est le suivant. La position éthique la plus répandue relative aux individus non humains est une position qu’on qualifiera, à la suite de Singer, de spéciste [21] : les intérêts des non-humains ne comptent pas, ou comptent moins que ceux des humains, en vertu pratiquement du seul critère d’espèce. Singer pointe des similitudes argumentaires frappantes entre la façon dont sont traitées certaines « minorités » humaines opprimées et celle dont nous traitons les individus d’autres espèces. Le spécisme désigne en effet les discriminations faites par les humains aux non-humains, justifiées par la notion d’espèce, comme on s’est servi et on se sert encore de la notion de « barbare », de « métèque », d’« indien » ou de la couleur de la peau pour définir l’altérité à « l’Homme blanc ». Par extension, l’idéologie spéciste désigne aujourd’hui l’ensemble des argumentaires développés afin de justifier des pratiques comme la domination, l’exploitation et la consommation des animaux non humains, qu’on ne tolérerait que difficilement s’il s’agissait d’humains. Dès lors, on désignera comme antispécistes les postures visant à critiquer et rendre caduques ces justifications.
Les principales positions en éthique normative condamnent le spécisme, aussi bien l’utilitarisme à travers Peter Singer, le déontologisme avec Tom Regan, que l’éthique des vertus avec une approche des « capabilités » de Martha Nussbaum. La philosophie contemporaine, presque dans son ensemble, remet en cause nos comportements actuels envers les individus non humains [22]. Et hormis la tradition, argument d’historicité au caractère notoirement fallacieux, de tels écarts de traitement trouvent leur pierre de touche dans la notion d’espèce. Nous nous arrogeons le droit de tuer, de manger, de domestiquer, d’effectuer des tests militaires ou médicaux, ainsi que de faire travailler sans réelle contrepartie [23] des êtres sentients sur la seule base de la différence d’espèce, qui du coup devient une barrière morale. Réintégrer les humains dans le monde animal est la moitié du travail, et diluer la notion d’espèce la seconde. Ce travail darwino-antispéciste pourrait permettre une demi-victoire : faute d’outil dichotomique, sans une notion d’espèce à brandir, le critère de discrimination se désagrège. Ainsi devient-il nécessaire d’élargir l’éthique humaine aux individus non humains, dans la même logique que nous avons progressivement étendu les droits à nos filles, nos cousins, nos voisins, nos concitoyens, aux étrangers, jusqu’à des droits fondamentaux humains généraux. Il s’agit ainsi de collaborer à la construction d’une théorie éthique unifiée du droit des individus sentients, comme l’ont entrepris certains auteurs [24].
Raisonnons, par analogie, sur deux autres notions souffrant des mêmes défauts que celle de l’espèce : l’antiracisme et l’antisémitisme. Au XXIe siècle, nous nous déclarons assez facilement antiracistes. Cela ne signifie pas que nous nions l’existence des races humaines, puisque c’est un fait, et non un point de vue : elles n’existent pas, ou plus [25]. Par probité intellectuelle, si différents sous-groupes humains existaient, nous devrions le reconnaître. Nous le reconnaîtrions au moyen de découpages qui, par conventions langagières, permettraient de segmenter là où des réalités biologiques nous paraissent assez pertinentes pour créer différents groupes. Lorsque nous nous déclarons antiracistes, nous signifions que nous sommes contre les ségrégations basées sur un critère comme le taux de mélanine dans la peau d’un humain : nous sommes donc contre le mélano-ségrégationnisme. Nous préférons cependant la terminologie d’antiracisme car primo, elle est plus courte, et secundo parce que si les races n’existent pas en soi, elles existent comme objet intellectuel dans la tête des personnes racistes. De fait, si les différences entre les groupes humains ne suffisent pas pour créer des sous-espèces et que les races humaines n’existent pas sur le plan biologique, elles existent comme objet social et culturel, comme mème [26], et hélas existeront tant que des cerveaux les penseront.
De la même manière, nous pouvons facilement nous déclarer contre l’antisémitisme, et cela d’autant plus facilement que l’inverse est extrêmement mal vu. La notion nodale « sémite » est tortueuse. L’antisémitisme désigne une forme spécifique de racisme non envers les Sémites, mais envers les Juifs. Or les Juifs ne sont pas explicitement sémites, et cela pour au moins trois raisons. La première est que les frontières sémites, si elles ont existé, ont toujours été fluctuantes. La deuxième est qu’il s’agit d’une définition linguistique, non d’une réalité ethnique : sont sémites les locuteurs des langues sémitiques (arabe, amharique, maltais, etc.). Enfin, la troisième est que la catégorisation est purement biblique : les Sémites sont censés être les descendants de Sem, fils de Noé. Sur ce dernier point, il faut au préalable faire un acte de foi sur la scientificité du texte de la Genèse, et la vraisemblance de l’existence de Sem. Nous savons que d’un point de vue historique et scientifique, la Genèse se trompe déjà, entre autres, sur l’âge de la Terre, sur l’origine de l’humanité et, en ce qui nous concerne en partie ici, sur le fait qu’un ou sept couples d’individus (qu’on présume de typage sexuel binaire et opposé, et capable de reproduction sexuée…) appartenant à chaque espèce aurait été sauvé par un homme âgé qui les aurait abrités d’un déluge, dont nous n’avons aucune trace empirique, en les recueillant dans son arche.
On rêverait peut-être de s’en sortir au moyen de la solution triviale Juif = non-Arabe, mais la catégorie Arabe étant elle-même sorite, nous échapperions au monstre Charybde pour tomber dans les griffes de Scylla [27]. En outre l’arabe est une langue… sémitique. Finalement, quand bien même les Juifs seraient sémites, ils ne sont pas les seuls sémites. En conséquence, lorsque nous nous déclarons contre l’antisémitisme, nous voulons signifier que nous sommes contre celles et ceux qui discriminent sur la base d’une catégorie artificielle trop large, que tous les linguistes et historiens ont abandonné depuis un siècle, et basée sur un texte sacré douteux dans lequel le patriarche Noé meurt à l’âge de 950 ans. Pour autant, la catégorie « juif » est opératoire, puisqu’il est des gens et jusqu’à des pays entiers qui s’en revendiquent.
Pour autant, quand bien même les concepts de sémite et de race n’ont pas de réalité autre que celle d’un mème, nous pouvons nous déclarer contre l’antisémitisme et le racisme tant qu’il y aura un antisémite ou un raciste dans le monde pour continuer à penser ce mème. L’antisémitisme et le racisme existeront comme notions, tant que quelques esprits peu éclairés s’en serviront pour opprimer des populations. Fin de la parabole : de la même façon, la notion d’espèce n’a véritablement de fonction que par défaut :
- soit en pointant des impossibilités de reproduction ;
- soit en servant de fracture éthique étanche et discriminatoire, fracture qu’on appelle depuis 1971 le spécisme.
Aussi l’Espèce est une notion qui gagnerait à être retournée comme une chaussette humide : plutôt que de parler de la rivière, et si nous parlions de la topologie qui entoure ces rivières ? Plus que le concept espèce, qui désigne une unité de population dans lesquelles un flux génétique passe, ce sont peut-être les différents ravins, canyons et montagnes, les puits de potentiel comme disent les physiciens, dont il faudrait faire le concept de base. Ne plus parler des rivières de gènes, car trop fluctuantes, s’asséchant, se ramifiant, en constante évolution, mais parler des rochers, des gorges, des cailloux, des interfluves qui freinent, orientent, divisent ladite rivière génétique. Comme l’écrivait le poète Rabindranath Tagore, la rivière n’atteindrait jamais la mer si les berges ne la contraignaient.
Certains biologistes comme Theodosius Dobzhansky ont déjà listé des sources d’apparition de ces barrières entraînant l’isolement reproductif. Des spéciations sont ainsi issues de phénomènes dits allopatriques, comme la séparation géographique qui, telle une grande montagne, couperait le fleuve génétique en deux vallées distinctes et ne permettrait plus leur jonction – ce qu’on appelle la spéciation allopatrique. Un mâle trop petit pour copuler avec une femelle trop grande pourrait constituer un autre cas d’isolement reproductif, les mâles plus petits allant plus volontiers copuler avec des femelles plus petites (ou plus compatibles en terme de genitalia) et les mâles plus grands avec des femelles plus grandes. Cela est susceptible d’entraîner une pression de sélection disruptive, puisque les femelles et les mâles de taille moyenne sont contre-sélectionnés. D’autres types de spéciation sont dits sympatriques, bien que n’ayant aucun lien avec l’Irlande, et peuvent intervenir au moment de la fécondation [28]. Une spéciation sympatrique advient par exemple lorsqu’une niche écologique est hétérogène, et fournit dans le temps ou l’espace des conditions qui avantageront à différents endroits ou moments une population d’une même espèce, ce qui mènera donc à de nouvelles divergences génétiques.
Pour toutes ces raisons, renoncer à la notion d’espèce semble n’avoir que des avantages. Les espèces sont aujourd’hui le plus souvent appréhendées comme des conventions de langage par les biologistes. Elles sont des catégories utiles pour parler de ce qui nous entoure, relativement intuitives pour le cerveau humain actuel, enclin à catégoriser à tout bout de champ [29]. Darwin aurait dit que cette capacité de catégorisation a probablement été sélectionnée, apportant à son propriétaire un avantage en termes de survie et de reproduction en lui permettant de rendre prédictible le monde qui l’entoure.
Ces catégories sont cependant arbitraires, leur but n’étant que d’être cohérentes avec les autres catégories et de répondre au cahier des charges du classificateur [30]. Seulement, leur praticité est telle qu’il faudrait leur substituer un terme qui soit d’utilité équivalente, mais qui nous épargne les scories intellectuelles et éthiques. Plusieurs perspectives s’offrent à nous : nous pourrions par exemple parler de « communauté de reproduction », de « flux reproductif », de « rivière de gènes » comme le fait Dawkins, ou de « flux spécien ». Nous la choisirons pour tisser la métaphore héraclitéenne selon laquelle « on ne peut pas entrer une seconde fois dans le même fleuve, car c’est une autre eau qui vient à vous ; elle se dissipe et s’amasse de nouveau ; elle recherche et abandonne, elle s’approche et s’éloigne. » [31]. Grâce à elle :
- on échappe à l’écartèlement annoncé de la notion d’« espèce » ;
- on évite son cliché instantané de l’héritage biologique d’un individu ;
- on intègre la dimension dynamique du processus ;
- on coupe en outre un peu d’herbe sous le pied de l’un des fondements essentialistes de l’idéologie spéciste.
Reste ensuite à s’appesantir sur les freins à ces flux spéciens.
Le fonctionnement neural par catégorisation des humains nous fait payer un lourd tribut qui se compte en généralisations abusives, en clichés, en stéréotypes de race, d’ethnie, de genre ou de classe. Nous comprenons la nostalgie que l’on pourrait avoir de catégories qui ont été somme toute très utilisées, comme « la Femme », « l’Homme », « le Noir », « le Juif » ou « l’Animal », à qui l’on attribue le plus souvent des rôles, une place ou des comportements prédéfinis et souvent adossés à une lecture plus ou moins sacrée du cosmos. Tout comme les biologistes ont abandonné le taxon poisson, insuffisant et non opératoire, notre philosophie du quotidien devrait-elle arrêter de penser ces catégories sans caractéristique propre, du fait de leur incurie épistémologique et de leur implication politique scabreuse ? À l’instar des morons de Henry H. Goodard, des mongoliens de John L. Down, des dolichocéphales et brachycéphales chers à Georges Vacher de Lapouge, les catégories essentialistes sont autant de chausse-trapes morales, et sont à la sociologie politique ce que la tenaille est à la dentisterie, ce que la hallebarde est à la chirurgie de précision.
Remerciements à Julien Peccoud.
Notes et références
↑1 | Systematics and the Origin of Species, 1942. Dans Species are groups of actually or potentially interbreeding natural populations, which are isolated from other such groups. Ernst Mayr, Systematics and the Origin of Species, from the viewpoint of a zoologist, Harvard University Press, 1999, xxi, 334. |
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↑2 | Mayr, Ernst, « The Biological Species Concept », in Wheeler, Quentin D. (dir.), Meier, Rudolf (dir.), Species Concepts and Phylogenetic Theory : A Debate, New York, Columbia University Press, 2000, p. 17. |
↑3 | Ibid. |
↑4 | Ibid., p. 28. |
↑5 | On trouvera des exemples d’hybridation végétale assez facilement, de la banane plantain à la clémentine. Voir Spichiger, Rodolphe-Edouard & al., Botanique systématique des plantes à fleurs, Lausanne, Presses polytechniques et universitaires romandes, 2004, p. 22. |
↑6 | Voir Dawkins, Richard, The Ancestor’s Tale, A Pilgrimage to the Dawn of Life, Londres, Weidenfeld & Nicolson, 2004, p. 255. |
↑7 | Liebers, Dorit, De Knijff, Peter, Helbig, Andreas J., « The herring gull complex is not a ring species », Proceedings. Biological Sciences, Londres, mai 2004, vol. 271, n°1542, p. 893–901. |
↑8 | Du nom de Karl Popper, épistémologue viennois du XXe siècle. |
↑9 | Sur la question de l’humain et des limites de sa définition, on pourra lire le roman de Vercors, Les animaux dénaturés, qui aborde un nombre inouï de questions contemporaines. |
↑10 | Sheldrake, Rupert, Une nouvelle science de la vie, Monaco, Éditions du Rocher, 2003. |
↑11 | Lecointre, Guillaume. L’Évolution, question d’actualité ?, Versailles, Quæ, 2014, p. 96-97. |
↑12 | La sentience est la capacité d’éprouver des choses subjectivement, d’être capable de « biographie », de souffrance, et de projection même limitée dans le futur. Cette notion en prémisse chez Jeremy Bentham, dans Introduction aux principes de morale et de législation (1789), a été par la suite développée entre autres par Peter Singer dans La libération animale (1975). |
↑13 | Si au lieu de l’Aspic, nous avions pris le Cheval, il nous faudrait démêler l’écheveau de l’étalon de cheval. |
↑14 | L’existence de ce LUCA (que Richard Dawkins appelle concestor, pour common ancestor) rencontre le même problème que celui d’ancêtre commun : ils sont tous deux des « expériences de pensée », c’est-à-dire ne s’incarnent pas dans un individu à proprement parler. Ils sont des « individus hypothétiques certains », aussi cocasse que cela soit. Il en est de même de ce que les journalistes en mal de métaphore biblique ont appelé de manière regrettable l’Ève mitochondriale et l’Adam Y-chromosomique. À croire que la biologie affectionne les notions abstraites – et que la presse s’en sert pour achalander le lecteur sur des métaphysiques – comme elle le fit par exemple pour le boson de Higgs, la fameuse « particule de Dieu ». |
↑15 | On notera que sur cette plaque, les morphotypes humains sont blancs et caucasiens, à l’image de ceux qui les ont dessinés. |
↑16 | Voir Plutarque, Vies des hommes illustres, (100-120), Charpentier, 1853. |
↑17 | Voir par exemple : Samadi, Sarah, Barberousse, Anouk, « Espèce », in Heams, Thomas (dir.), Huneman, Philippe (dir.), Lecointre, Guillaume (dir.), Silberstein, Marc (dir.), Les mondes darwiniens, L’évolution de l’évolution, Paris, Éditions Matériologiques, 2011, p. 250-254. |
↑18 | Reprise dans l’ouvrage de Ian Hacking Le plus pur nominalisme. L’énigme de Goodman : « vleu » et usage de « vleu », Paris, L’Éclat, 1993. |
↑19 | Imaginer une superposition des différents états du Chat de l’an 3000, divisée par √2, réveillera à coup sûr Erwin Schrödinger dans sa tombe autrichienne d’Alpbach. |
↑20 | On doit la notion de genre, encore rudimentaire, à Émile Durkheim. Son sens plus contemporain, désignant les différences non biologiques entre les femmes et les hommes, fut forgé par le psychologue néo-zélandais John Money. |
↑21 | Le terme de spécisme fut inventé sous la plume du psychologue Richard R. Ryder dans Animals, Men and Morals (1971), puis popularisé par un certain Peter Singer dans La libération animale (1975), Paris, Payot & Rivages, 2012. |
↑22 | Pour l’utilitarisme de Peter Singer, on pensera à l’ouvrage Practical Ethics, Cambridge, Cambridge University Press, 1980. Pour le déontologisme de Tom Regan, voir The Case for Animal Rights, Berkeley, University of California Press, 1983, et Animal Rights, Human Wrongs: An Introduction to Moral Philosophy, Lanham, Md., Rowman & Littlefield, 2003. Enfin, sur les capabilités de Martha Nussbaum, voir Frontiers of Justice : Disability, Nationality, Species Membership, Cambridge, Harvard University Press, 2006. |
↑23 | Certain·e·s auteur·rice·s comme Sue Donaldson et Will Kymlicka, dont nous partageons l’analyse, n’envisagent pas le travail d’individus non humains comme immoral s’il est inscrit dans un cadre précis. Voir pour la version originale : Donaldson, Sue, Kymlicka, Will, Zoopolis, A Political Theory of Animal Rights, Oxford, Oxford University Press, 2011, p. 90-95. |
↑24 | Voir en particulier Donaldson, Sue, Kymlicka, Will, op cit. |
↑25 | Ne serait-ce que parce que la notion de race est une notion d’élevage domestique ? Voir par exemple Hiernaux, Jean, « L’espèce humaine peut-elle être découpée en races ? » in (Collectif), Le racisme devant la science, Paris, UNESCO, 1973, p. 171. Nous ne sommes pas à l’abri de découvertes de sous-ensembles humains incompatibles dans la foisonnante paléoanthropologie, même si le maître mot actuel est l’hybridation à tout crin. |
↑26 | Dawkins, Richard, Le gène égoïste, Odile Jacob, 1976/1999 ; Blackmore, Susan, La théorie des mèmes, pourquoi nous nous imitons les uns les autres, Max Milo, 2006 ; Besnier, Jean-Michel, Jouxtel, Pascal, Comment les systèmes pondent, une introduction à la mémétique, Le Pommier, 2005. |
↑27 | Sand, Shlomo, Comment le peuple juif fut inventé, Paris, Fayard, 2008 et Comment j’ai cessé d’être juif, Paris, Flammarion, 2013. |
↑28 | On pourra consulter sur cette thématique un ouvrage comme Dobzhansky, Theodosius, Genetics and the Origin of Species, Columbia University Biological Series (volume 11), 1937. |
↑29 | Medin, Douglas L., Aguilar, Cynthia, « Categorization » in Wilson, Robert A., Keil, Frank C., The MIT Encyclopedia of the Cognitive Sciences. The MIT Press, Massachusetts. 1999, p. 104-106. |
↑30 | Lecointre, Guillaume, op cit., p. 147. |
↑31 | Héraclite. Cité par Fouillée, Alfred, Extraits des grands Philosophes, Librairie Delagrave, 1938, p. 25. |