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En un texte très vivant, Charlotte Arnal parle à la première personne et s’adresse directement à son lecteur. Des encadrés éclairant les principales notions, des illustrations (photographies en noir et blanc), des QR codes donnant accès à des sources, des textes de référence sur les droits des animaux en annexe, ou encore des entretiens instruisent sans jamais lasser. L’objectif idéal des réflexions auxquelles Charlotte Arnal invite est l’inscription du droit des animaux dans la Constitution, afin que celui-ci acquière une qualité directrice aux yeux du législateur. Du reste, son propos est immédiatement lié à la politisation de la cause animale, dont le Référendum pour les animaux lancé en 2020 par le journaliste Hugo Clément est l’un des signes.
Charlotte Arnal fait judicieusement entrer son lecteur dans le monde étrange du droit en lui demandant en quel animal il aimerait se réincarner. C’est à partir de cette fiction qu’elle va droit au cœur de la contradiction qui travaille le droit animalier : les animaux sont déclarés « êtres vivants doués de sensibilité » sans que cette qualité qui oblige n’oblige. Nulle part comme dans le droit animalier la différence entre la morale et le droit ne se donne à voir aussi nettement. En effet, le statut juridique d’une espèce animale, voire d’un individu, dépend de sa destination économique, d’usages ancestraux ou de folklores locaux, non de ce qu’il est en lui-même et pour lui-même. Le canard mulard, par exemple, selon qu’il est détenu dans un élevage de « palmipèdes à foie gras » ou qu’il a été choisi pour être un « animal de compagnie » n’a pas du tout le même statut juridique : son propriétaire n’a pas sur lui le même type de droits. Cette invitation à la fiction d’une réincarnation, suivie d’un exposé sur les catégories juridiques (animaux domestiques, de compagnie, sauvages), occupe l’« État des lieux des droits des animaux ».
De manière générale, selon une méthode qui caractérise la puissance de la démarche adoptée, Charlotte Arnal appelle à faire table rase de nos croyances et opinions (qui sont, en vérité, moins les nôtres que celles dont nous héritons tout en ayant l’illusion de les avoir librement forgées) pour penser par soi-même, la devise des Lumières. Si le droit positif ne craint pas de s’appuyer sur une contradiction initiale majeure — les êtres sensibles sont soumis au régime des biens (ou des choses) —, c’est alors l’univers de nos croyances qu’il faut livrer à la réévaluation (chapitre suivant : « Réactualiser nos croyances, un impératif de justice ? »). Est notamment examinée la structure des rapports de domination d’un groupe sur un autre, cet autre comprenant, aux côtés d’êtres humains infériorisés, les animaux. Sont présentés derechef les arguments, entre autres scientifiques, qui lui font pièce. Ainsi la notion de « droit sentientiste » est-elle avancée, laquelle ménagerait la première place à l’individu et inviterait « l’écologie à dépasser les logiques de “biodiversité“ et ses “quotas” » (p. 69).
Vient alors le chapitre composé par trois « propositions pour faire avancer les droits des animaux », réitérant le sous-titre de l’ouvrage. Celles-ci répondent à un triple impératif : elles sont transversales, intelligibles, consensuelles et combinent pragmatisme et ambition (p. 73-74). La première consiste dans la constitutionnalisation de la protection animale, une proposition étayée par un entretien avec le juriste Olivier Le Bot (p. 79-85) ; la deuxième dans la reconnaissance d’une personnalité juridique, comme y enjoint idéalement un article de la Déclaration universelle des droits de l’animal (rapportée en annexe p. 123) et comme le propose techniquement le juriste Jean-Pierre Marguénaud au fil d’un autre entretien (p. 98-102) ; la troisième dans la création d’un « ministère de la Condition animale », un souhait également déjà formulé en son temps dans la Déclaration universelle des droits de l’animal. Cette requête, mainte fois portée, vise évidemment à dégager les intérêts des animaux de ceux qui leur sont triomphalement opposés par les ministères auxquels ils se trouvent mêlés : l’agriculture et la pêche, l’environnement. Charlotte Arnal rappelle combien nombreux est le « peuple animal » (p. 103), et combien, par conséquent, nombreux sont les intérêts en propre appelés à être pris en compte pour eux-mêmes, dans un monde que les auteurs de l’ouvrage de référence Zoopolis ont dessiné (p. 110-114).
La conclusion, enfin, plaide pour l’octroi de « droits fondamentaux » dans une société où il est légalement possible de se faire livrer sans délai une mygale, un perroquet ou une tortue en pouvant « ajouter au panier » des petits rongeurs vivants destinés à les nourrir. « Derrière les “produits“, les “promotions“, les “nouveautés“ […], je ne peux m’empêcher de me mettre à la place de ces animaux. Je sens leur existence à la première personne, je devine le miracle de chaque petite vie, et je me demande ce qu’ils peuvent ressentir dans leurs cages, dans leurs colis de transport, et une fois arrivés chez nous, les humains » (p. 117). Cette expérience empathique achève de dessiller nos yeux pour nous rendre à l’évidence de la condition sentiente des animaux qui, tous, sont un point de vue sur le monde.
Florence Burgat